Les habits neufs de l’homophobie

Dimanche 13 janvier, les opposants au mariage pour tous manifesteront à Paris. Depuis le débat sur le Pacs, leur discours s’est le plus souvent policé. Il n’en véhicule pas moins une violence inquiétante.

Olivier Doubre  • 10 janvier 2013 abonné·es

Chassez l’homophobie par la porte, elle revient par la fenêtre ! C’est l’impression qu’ont beaucoup d’homosexuel(le)s, ces derniers temps, en couple ou non, devant le déferlement de mépris, voire de haine et d’amalgames, à l’occasion du débat sur le mariage pour tous. Les plus jeunes, notamment, sont « tombés de haut, n’ayant connu ni la répression avant les années 1980, ni la stigmatisation des malades du sida, ni le déchaînement homophobe sur le Pacs ; ils s’imaginaient que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ne serait aujourd’hui qu’une formalité ». C’est ce qu’observe le journaliste Christophe Martet, ex-président de la plus inventive association de malades du sida, Act Up-Paris, et aujourd’hui directeur de publication de l’un des plus importants sites d’information homosexuelle, yagg.com.

« Si beaucoup de jeunes et de moins jeunes, homos et même hétéros, pas vraiment politisés et encore moins habitués des manifestations de rue, se sont rendus aux défilés des 15 et 16 décembre en faveur du mariage pour tous, c’est qu’ils ont été choqués mais surtout surpris par la surenchère de haine, de propos hostiles et souvent irrationnels »,* poursuit Christophe Martet. Des déclarations de l’archevêque de Lyon, Mgr Barbarin, sur le mariage pour tous qui ouvrirait la porte à la polygamie et à l’inceste, aux comparaisons de l’homosexualité avec la zoophilie, l’homophobie connaît bien, aujourd’hui en France, un regain inquiétant (cf. l’entretien ci-contre avec Élisabeth Ronzier). Mais, à côté de cette violence, la plupart des opposants au 31e des 60 engagements du candidat Hollande tentent, en apparence, de se faire plus « corrects » et moins outranciers. Et de se démarquer de la séquence de la fin de la décennie 1990, lors du débat sur le Pacs. Tout serait donc affaire de présentation, de modération dans le langage.

Organisée par le collectif « la Manif pour tous », emmené par l’égérie papiste Frigide Barjot (compagne de l’humoriste Basile de Koch, jadis « plume » de Charles Pasqua), la manifestation du 17 novembre a rassemblé une trentaine d’associations, dont certaines n’auraient aucune activité réelle. Quelques-unes revendiquent pourtant leur caractère « homosexuel », même si personne dans la communauté gay n’en a jamais entendu parler. Ainsi Homovox, dont le site est « en cours de construction » depuis des mois. Ou, avec visiblement plus de moyens, Plus gay sans mariage, dirigée par un membre de l’UMP, Xavier Boisgibault, très courtisé par les télévisions, mais dont l’association « ne représente rien dans la communauté », selon Christophe Martet, pour qui bon nombre de ces organisations « ne sont la plupart du temps que des boîtes postales ». Il faut croire que certains talk-shows aiment à convier des voix enclines à renouer avec la vieille « haine de soi » des homosexuels, rappelant les Amitiés particulières (1946) de Roger Peyrefitte…

Comme beaucoup d’observateurs, le directeur de yagg.com s’interroge sur les moyens mobilisés par ces organisations récentes, inconnues auparavant, qui déploient tee-shirts, autocollants et campagnes médiatiques. Même si l’on trouve à leurs côtés des organisations plus importantes, telles Familles de France et la très réactionnaire Confédération nationale des associations familiales catholiques. Toutefois, contrairement à Frigide Barjot et à Xavier Boisgibault, dont les propos ont été largement médiatisés, de nombreuses associations du collectif n’hésitent pas, elles, à user d’un discours plutôt musclé, dans une vision étriquée et anachronique de la famille. Homophobe et anti-avortement. Leurs dénominations valent à elles seules programme : « Collectif pour l’enfant », « Mouvement mondial des mères » ou « Alliance Vita » (qui a pris la suite de l’Alliance pour les droits de la vie, fondée par Christine Boutin en 1993). Mais on trouve surtout des associations proches des catholiques traditionalistes, qui visent directement les défenseurs de l’égalité des sexes, des genres et des sexualités, avec pour principal cheval de bataille la « théorie du genre ». Ainsi, Nouveau féminisme européen et Femina Europa, dirigés par une ex-députée européenne proche de Philippe de Villiers, Élisabeth Montfort. Leurs sites Internet mettent d’abord en garde contre des « mots piégés », tels la « tolérance », synonyme de « relativisme » (sic), ou « parentalité, [qui] a remplacé maternité et paternalité » (re-sic). Toute cette mouvance, si elle tente (bien mal) de dissimuler son homophobie, ne cesse en fait de stigmatiser les homosexuels et l’égalité prochaine avec les couples hétérosexuels. À travers des slogans comme « On ne ment pas aux enfants », parfaitement démagogique, ou « Nos droits avant leurs désirs ! ».

On lit ainsi sur le site d’une très discrète association du collectif Manif pour tous, Cosette et Gavroche – nom choisi pour rappeler « qu’un enfant abandonné aux seuls désirs des adultes souffrira matériellement et psychologiquement » (sic) –, que « les avantages liés au mariage civil ont une contrepartie que seuls les couples hétérosexuels peuvent assurer : le don de la vie ». Un discours assez proche de celui de certains psychanalystes qui, dans des tribunes régulièrement accueillies dans les pages du Monde, ne cessent de stigmatiser ces « mauvais parents » que seraient les couples homoparentaux – qui élèvent pourtant leurs enfants comme les autres… Comme le note Christophe Martet, « cette homophobie qui se veut “soft” est en fait bien la même que l’on avait vue lors du débat sur le Pacs, avec la même violence. » Mais « les atermoiements du Parti socialiste, comme entre Christiane Taubira et la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, ont encouragé l’UMP à s’engouffrer dans cette brèche. À partir de là, cela a été à qui serait le plus homophobe ! Car le gros des troupes de ces manifestations provient en fait de l’UMP. Et sans doute aussi les moyens. Enfin, la déclaration de François Hollande sur la prétendue “liberté de conscience” des maires, qui provenait certainement du conseiller Bernard Poignant, catholique plutôt “réac” et chargé à l’Élysée de faire remonter les voix des régions, n’a vraiment rien arrangé ». Plus grave, ce climat délétère a aussi eu pour conséquence un déferlement d’injures homophobes sur Twitter ces dernières semaines. En somme, quand on lui donne des gages, l’homophobie ne tarde pas à relever la tête. Et il y a fort à craindre qu’elle donne de la voix, dimanche 13   janvier.

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