Pascal Durand, secrétaire national d’EELV : « Que se passerait-il si nous n’étions pas là ? »

Le secrétaire national d’EELV, Pascal Durand, expose les positions des écologistes sur le Mali, la sécurisation de l’emploi ou la transition énergétique. Et défend la participation au gouvernement.

Patrick Piro  • 24 janvier 2013 abonné·es

Pascal Durand, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), se trouve aux commandes du parti dans une période charnière. D’ici à l’été, EELV tirera un premier bilan de sa participation gouvernementale, et tiendra son congrès dans la foulée. La stratégie du parti, largement soutenue en interne, pourrait alors être remise en cause.

En lançant la France seule dans une opération militaire au Mali, François Hollande ne retombe-t-il pas dans les travers néocolonialistes de ses prédécesseurs ?

Pascal Durand : Il est hâtif de qualifier cette intervention de solitaire. L’ONU en avait approuvé la nécessité, le Mali l’a souhaitée, les pays limitrophes ainsi que l’Europe l’appuient. On est loin des précédents d’une France jouant les gendarmes en Afrique pour venir en aide à un régime généralement corrompu, et qu’elle avait participé à installer. Néanmoins, il n’est pas question pour nous que la France reste seule impliquée militairement et en première ligne sur le territoire d’une ancienne colonie.

**Cette position n’est-elle pas à rebours de la culture des écologistes ? **

Nous sommes profondément pacifistes, et la guerre, pour nous, est toujours l’illustration d’un échec politique, celui de n’avoir su traiter des circonstances et des facteurs connus depuis longtemps. Cependant, comme c’est déjà arrivé par le passé, nous pouvons comprendre la nécessité d’intervenir militairement face à l’urgence humanitaire. Au Mali, il y avait péril avec des groupes qui semaient la terreur au sein des populations du Nord, et menaçaient la capitale, Bamako. En revanche, nous sommes totalement opposés à la logique générique d’une « guerre au terrorisme » qui permettrait de justifier toute intervention. Je trouve d’ailleurs excessifs les termes définissant l’objectif de la mission Serval – la reconquête intégrale du territoire malien. Il faut très vite que d’autres pays prennent le relais de la France, que la paix et la démocratie retrouvent leurs droits, que l’on cesse de privilégier la défense d’intérêts privés dans la région, tels que la protection des mines d’uranium au Niger, et que l’on donne à la population malienne les moyens d’un vrai développement.

**L’opposition de Noël Mamère à cette intervention est donc isolée ? **

Quoi que l’on pense de son expression, sur le fond, il n’est pas très éloigné de la position adoptée par notre conseil fédéral samedi dernier. Il met surtout en garde contre le retour de la Françafrique.

**Le gouvernement compte reprendre tel quel l’accord sur la sécurisation de l’emploi. Comment jugez-vous ce texte ? **

Nous avons suffisamment reproché à Nicolas Sarkozy son mépris pour les syndicats de salariés pour critiquer le président de la République qui choisit de rendre la main à la négociation et au contrat entre partenaires sociaux. Je soutiens cette pratique, que je juge fondamentale pour l’équilibre des pouvoirs dans notre pays. Ensuite on ne peut pas dire : je prends ce qui m’intéresse dans l’accord, et je jette le reste. Certes, on peut critiquer la représentativité des syndicats, mais il faut le faire avant, pas après l’accord.

Mais, sur le fond, ce texte vous convient-il ?

Nous ne prétendons pas détenir de réponse clé en main sur le sujet. Aussi allons-nous consulter l’ensemble des partenaires présents dans la négociation afin de prendre une position motivée – nos parlementaires auront à voter sur l’accord. Qu’est-ce qui motive le refus de signer de FO et de la CGT ? Pensent-ils être en capacité d’obtenir mieux ? La CFDT a-t-elle jugé qu’il n’était pas possible d’obtenir plus du Medef en l’état actuel ? C’est une question de rapport de force. La même qui nous a conduits à juger que notre participation au gouvernement était plus propice à faire bouger les choses que de rester en dehors.

Notre-Dame-des-Landes, fiscalité écologique, gaz de schiste, etc., sur plusieurs sujets chers à EELV, les décisions gouvernementales sont défavorables ou repoussées à plus tard.

Il nous reste à convaincre sur de nombreux dossiers, c’est vrai. En revanche, sur le gaz de schiste, je vous trouve un peu sévère, les arbitrages sont en notre faveur…

Mais la porte reste quand même largement ouverte à la recherche.

Peut-être, mais je n’oublie pas d’où l’on vient. En 2011, nous avions un ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, qui signait des permis d’explorer à tour de bras. Je ne mets pas les prises de position du Premier ministre et du Président sur le même plan, même s’il est exact que la prétendue recherche de techniques moins polluantes que la fracturation hydraulique ne paraît pas abandonnée. Mais je me permets d’inverser la question : si nous n’étions pas là, que se passerait-il ? Comment voulez-vous que nous soyons entendus pour préparer la France et l’Europe de demain si nous ne sommes pas autour de la table ?

Qu’attendez-vous de la transition énergétique, l’un des points clés du programme écologiste ?

Une réorientation très claire de la vision française héritée du compromis historique entre gaullistes et communistes, et incarnée par EDF. Il faut sortir de ce jacobinisme énergétique, ultracentralisé et principalement préoccupé par la construction de centrales, quitte à pousser à la consommation pour éponger la surproduction. Il faut d’abord en finir avec le centralisme, et redonner de l’autonomie aux régions, comme c’est le cas en Allemagne, par exemple, qui a engagé sa transition énergétique. Ensuite, faute de mieux pour l’instant, le gouvernement doit respecter sa feuille de route sur le nucléaire, à savoir une réduction de sa part de 75 % à 50 % d’ici à 2025. Comment y parviendra-t-on ? Il est essentiel d’obtenir en parallèle un grand programme en faveur des énergies renouvelables, et surtout d’importantes réductions de la consommation d’énergie. Cette baisse de la demande passera par une politique forte en faveur de l’isolation des bâtiments – l’un des chantiers que mène justement Cécile Duflot. D’où l’importance qu’elle reste au ministère du Logement… Autre point fondamental : le démantèlement de la logique d’EDF ou d’Areva – « plus on consomme et moins on paye » –, néfaste avec le nucléaire comme avec les renouvelables. C’est le sens de la proposition de loi du socialiste François Brottes pour une tarification progressive de l’énergie. Ce doit aussi être le but d’une fiscalité écologique dont nous attendons la mise en place. Elle permettra de réorienter les choix énergétiques tout en assurant plus d’équité sociale. Après, cela dépend aussi des rapports de force. Si l’on n’arrive pas à enclencher de mobilisations citoyennes autour de la question énergétique, autour du logement, etc., comment changer les choses ?

C’est une autocritique ?

Je rentre de Fukushima profondément attristé. Moins de deux ans après la catastrophe, les électeurs ont remis la droite pronucléaire aux commandes, et il n’y a pratiquement plus de manifestations d’opposants : la vie reprend son rythme, quand bien même les gens savent que le danger perdure. Alors je veux bien admettre une autocritique, mais faire bouger les choses n’incombe pas qu’aux politiques ou aux syndicats, c’est aussi l’affaire de la société.

En neuf mois de participation au gouvernement, les écologistes se sont régulièrement retrouvés en position défensive. Quand et sur quels points jugerez-vous de l’utilité de votre stratégie d’alliance ?

Nous avons décidé de faire un point tous les ans. Le premier interviendra entre juin et septembre. Il est trop tôt pour préciser l’ordre du jour. Et des arbitrages importants sont attendus d’ici là sur l’énergie et la réforme fiscale. Le ministre du Budget a récemment décrété que cette dernière était achevée, mais qui peut le croire ? La réalité de la crise finira par s’imposer. Si l’on veut en anticiper les aggravations futures, il faudra bien se donner les moyens de financer la transition écologique. Pour cela, la fiscalité sera un outil majeur.

Daniel Cohn-Bendit a claqué la porte d’EELV. Ne traduit-il pas une désillusion quant au manque d’influence politique des écologistes ?

Sa rupture a pour origine l’opposition du parti au traité budgétaire européen. Nous avons une différence de points de vue. Je crois que nous arrivons à la fin de ce « rêve européen » qu’il idéalise. Mais plutôt que d’empiler les étapes institutionnelles, n’avons-nous pas plutôt besoin de retrouver l’adhésion des populations, de redonner du sens et du contenu à ce fédéralisme européen auquel nous sommes, écologistes, viscéralement attachés ?

**EELV tient son congrès à l’automne. Comment en voyez-vous les enjeux ? **

L’évaluation de la politique du gouvernement et notre place au sein de la majorité seront au centre des débats, ainsi que les élections européennes de 2014, rendez-vous très important pour nous.

Comptez vous piloter une motion lors de ce congrès ?

Cela dépendra des conditions. Si nous sommes en capacité de porter collectivement un beau projet pour l’écologie politique, j’en serai évidemment. En revanche, je ne me livrerai pas à la guéguerre des personnalités et des postes.

Le Parti de gauche s’est résolument installé sur le terrain de l’écologie. Cette concurrence vous gêne-t-elle, alors que vous n’avez jamais travaillé ensemble ?

Je ne me sens pas propriétaire de l’écologie, et nous allons bientôt rencontrer une délégation du Parti de gauche, à ma demande. Je l’ai déjà exprimé, les positions de Jean-Luc Mélenchon sur l’écologie me vont globalement bien, et je vois des passerelles avec les nôtres. Cependant, pas plus qu’« éco-libéral » je ne me sens « éco-socialiste », notion qui se rattache à une époque périmée. Je suis « éco-écologiste », parce que nous sommes face à des crises nouvelles pour lesquelles les vieilles recettes ne marchent plus.

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