Matthieu Malgrange, codirecteur de l’Atelier du Plateau : « Une vocation pluridisciplinaire »

Pour Matthieu Malgrange, l’indépendance de l’Atelier du Plateau, une scène de quartier à Paris qu’il codirige, est menacée par la baisse des crédits.

Christophe Kantcheff  • 14 février 2013 abonné·es

Sur la porte de l’Atelier du Plateau, au fond d’une allée dans le XIXe arrondissement de Paris, cette mention : « Centre dramatique national de quartier ». Le clin d’œil est à la fois humoristique et signifiant. Car, ici, l’exigence artistique n’est pas moindre que dans des endroits plus grands et plus prestigieux, mais on l’envisage avec un état d’esprit spécifique, en toute indépendance, et dans des conditions particulières. Or, ces conditions tendent à se dégrader, en raison notamment de la baisse des financements publics. Matthieu Malgrange, codirecteur de l’Atelier du Plateau, analyse cette situation et explique la philosophie de son lieu.

Dans le programme de l’Atelier du Plateau de ce premier semestre, vous écrivez un édito qui tire le signal d’alarme. Pourquoi ?

Matthieu Malgrange : Depuis quelques années, il y a toujours une tonalité politique dans nos éditos, parce qu’on se sent de plus en plus précaires. L’an dernier, avec tous les membres du réseau Actes if, réseau solidaire des lieux culturels franciliens, dont l’Atelier du Plateau fait partie, nous avons constaté que nous étions menacés de disparition ou d’une réduction d’activité fragilisant le maintien de nos actions, pour lesquelles nous avons longtemps été soutenus par l’État ou les collectivités territoriales [^2].

Que se passe-t-il ?

Nous devons faire face à des stagnations ou des baisses de crédit. Le budget de l’Atelier du Plateau n’a pas augmenté depuis sept ou huit ans, alors que la professionnalisation coûte de plus en plus cher – professionnalisation que nous revendiquons bien sûr, autant pour les permanents de ce lieu que pour les artistes qui s’y produisent. En même temps, on ressent de la part de l’État – ainsi que des collectivités territoriales –, qui a mis en place une labellisation de très nombreux lieux indépendants, une forme de reflux et de défiance par rapport à ces mêmes lieux et une volonté de se recentrer sur les grands établissements culturels (théâtres nationaux, centres dramatiques nationaux…). Les conventions que nous passons avec les instances publiques ont aussi évolué. Auparavant, le projet global était aidé. Aujourd’hui, les conventions sont de plus en plus fléchées. Le financement porte, par exemple, sur ce que nous faisons en musique ou en cirque, mais pas en théâtre. Ce qui va à l’encontre de la vocation pluridisciplinaire de l’Atelier du Plateau. En ce qui nous concerne, c’est en arpentant des domaines artistiques différents que nous nous sentons avancer et nous situons dans le présent.

Depuis mai 2012, rien n’a changé ?

Pour l’instant, on ne sent pas de rupture avec les années précédentes, qui ont laissé beaucoup de traces. Les lieux intermédiaires comme ici, où peuvent être accueillis les artistes qui ne viennent pas de nulle part mais qui ne sont pas non plus installés, où beaucoup de choses naissent et s’expérimentent, continuent d’être négligés, oubliés. Ce phénomène se retrouve au-delà du spectacle vivant : dans le cinéma par exemple.

Comment caractériser l’identité de l’Atelier du Plateau ?

D’abord, c’est un lieu codirigé, par Laetitia Zaepffel, qui est metteuse en scène, et par moi-même, qui suis auteur et metteur en scène. Notre regard est donc avant tout artistique. Le lieu est unique, avec 110 m2, une grande hauteur, une verrière à 6 mètres, où on a installé une cuisine, un bar, des bureaux pour les cinq permanents : la relation est donc incessante avec le travail de plateau qui se fait dans nos murs. C’est une façon de placer la fabrication du spectacle ailleurs que dans sa bulle. Cela crée d’autres liens entre les uns et les autres. L’identité artistique s’est fabriquée sur du pluridisciplinaire. L’espace ici n’a pas de scène frontale, il se reconfigure avec chaque artiste. Ce qui nous permet d’accueillir des projets qui interrogent les normes, les formats et la limite des genres artistiques.

Quel est votre public ?

Nous n’avons pas fait d’étude sur le public, pour ne pas effectuer de classification. Mais nous voyons bien que nous touchons un public de quartier socialement assez métissé. Nous avons une petite jauge : 50 places. Mais la salle est souvent pleine. Et le public, assis sur des chaises, aisément incluses dans la scénographie, est très proche des artistes. Cela fait aussi partie de notre identité : la culture doit être exigeante, mais également peu impressionnante, par les lieux et leur configuration, l’accueil… C’est important d’instaurer d’autres rapports pour pouvoir ouvrir à tout le monde. Je veux ajouter une chose à ce propos : « ouvrir à tout le monde », ce sont des mots qui sont revendiqués partout aujourd’hui, par les grandes institutions en particulier, comme si elles faisaient la même chose que nous. Je n’ai rien contre les institutions, mais il est clair qu’elles ne réalisent pas le même travail. Défendre son indépendance, au-delà des questions d’argent, c’est aussi mener une bataille de mots.

Comment choisissez-vous les artistes qui entrent dans votre programmation ?

Par exemple, la compagnie Varham Zaryan, qui pratique le mime contemporain, est venue nous voir et nous a montré des extraits vidéo de travaux en cours. Pour nous, le mime est un nouveau champ artistique à explorer. Du coup, notre écoute était très ouverte. En outre, cette compagnie fait de l’action culturelle, assure de la formation, mène ses projets en cherchant des partenaires… Autre exemple : avec l’un des fondateurs de la compagnie La Scabreuse, Jean-Michel Guy, qui est metteur en scène, théoricien et chercheur sur les arts du cirque, nous proposons depuis deux saisons des « circonférences ». Elles sont réalisées avec un artiste de plateau et lui-même, auxquels s’ajoutent d’autres invités. Il s’agit de trouver une forme hybride entre la conférence, qui offre une réflexion sur le cirque, et le spectacle. Voilà deux exemples très différents qui symbolisent notre souhait d’être à côté des (nouveaux) genres.

[^2]: Le théâtre Paris-Villette a ainsi été fermé en décembre 2012.

Culture
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