Quelle reconversion après une vie de prostitution ?

Difficile de passer du plus vieux métier du monde à un métier comme tout le monde. Pourtant, des dispositifs existent.

Julie Droin  • 21 mars 2013 abonné·es

«C hanger de métier, c’est l’inconnu, ça fait peur », souffle Gabrielle Partenza. Âgée de 63 ans, elle a travaillé près de trente   ans comme prostituée. Et ne le regrette pas. Aujourd’hui, elle s’occupe d’une association pour « les personnes en fin d’activité prostitutionnelle ». Ce poste d’observation ne lui laisse aucun doute : « La reconversion professionnelle est difficile ! » Peut-on écrire « prostitution » sur son CV ?

« Un trou dans le CV se maquille. Lorsque ce sont des femmes, on pense souvent qu’elles ont élevé les enfants »,* glisse France Arnould, directrice de l’association parisienne de soutien aux prostituées les Amis du Bus des femmes. Mais comment faire lorsque ce creux est de 20, 30 ou 40 ans ? En France, certaines associations de prévention se sont emparées de la question de l’emploi. « On ne force pas ! », prévient Laura Garby, membre de Cabiria, association lyonnaise de santé communautaire. Nous ne sommes pas dans une démarche paternaliste. » L’accompagnement se fait en fonction des besoins de chacune. « Et au rythme où elles le veulent », insiste Hélène de Rugy, déléguée générale à l’Amicale du Nid, association qui s’occupe également de l’insertion professionnelle des prostituées souhaitant se reconvertir. En fait d’insertion, il s’agit surtout de soutien à la recherche d’emploi : les associations aident à l’élaboration du CV, aux démarches juridiques, notamment pour que les personnes bénéficient de leurs droits, RSA et minimum vieillesse, et, surtout, s’attachent à être présentes tout au long du parcours. Les Amis du Bus des femmes parlent plutôt de « réorientation de carrière ». Sortir de la prostitution signifie des revenus plus stables, une sécurité, un statut social… « La reconnaissance du statut de citoyenne est importante, le fait de payer des impôts  [pour leur nouveau métier, NDLR] en est un symbole », pointe France Arnould. Les enfants peuvent servir de déclencheur, quand, en grandissant, ils commencent à poser des questions sur le travail de leurs parents. L’âge joue aussi, ainsi que la lassitude. L’association propose des bilans de compétence. « Il y a des acquis venant de la prostitution que les personnes ne soupçonnent pas et qui peuvent servir !, assure France Arnould. Par exemple, elles ont développé une grande capacité d’écoute et d’attention. Ce sont aussi de bonnes conseillères. » Nombre de femmes se tournent vers les métiers d’aide à la personne, le commerce, la vente ou l’accueil. Certaines préfèrent garder un lien avec le corps et s’orientent vers la sophrologie ou le yoga. Être son propre patron compte aussi beaucoup pour des femmes qui ont toujours travaillé de manière indépendante. Ainsi, on trouve des chauffeuses de taxi mais aussi des autoentrepreneuses.

À Paris, l’Amicale du Nid propose deux ateliers ** « d’apprentissage à la vie active »  : des travaux de façonnage d’imprimerie pour une entreprise. L’important n’est pas tant l’activité que le fait de se réapproprier les codes communs du monde du travail. Selon l’association, il faut parfois commencer par « redonner un cadre, sinon on les envoie au casse-pipe ». Les personnes prostituées étant souvent mal considérées, assimilées « à de la marchandise », le travail sur l’estime de soi est primordial. Comme plus de trois millions de Français, elles se tournent ensuite vers Pôle emploi. Les difficultés s’enchaînent. « La relation avec les Assedic et l’ANPE était partenariale jusqu’en 2008  [date de la fusion des deux structures en Pôle emploi, NDLR]. Il existait alors un référent pour les personnes en situation d’exclusion. Maintenant, les échanges ne se font que par répondeur interposé ! », peste Jérôme Expuesto de l’association Cabiria. Membre du Syndicat national unitaire Pôle emploi, Sylvette Uzan-Chomat confirme : le cadre des entretiens à Pôle emploi ne permet plus de s’exprimer dans de bonnes conditions : la confidentialité, par exemple, n’est plus de mise. « C’est l’usine. On peine à accompagner correctement les personnes », regrette-t-elle. Pôle emploi prépare actuellement un « plan stratégique », prévoyant notamment un suivi renforcé pour les personnes les plus éloignées de l’emploi. Mais, pour l’heure, les associations pallient les insuffisances de l’institution. Pour s’assurer que l’entretien débouche sur des propositions de formation et sur une évaluation de leurs compétences, les travailleurs sociaux veillent à être présents physiquement aux rendez-vous avec Pôle emploi. Les plus jeunes ont aussi la possibilité de se tourner vers les missions locales dédiées à l’insertion sociale et professionnelle. Reste enfin les petites annonces sur Internet… « Quarante ans de prostitution ou pas, il n’y a pas de travail ! », soupire Gabrielle Partenza. « Ceux qui ne veulent plus se prostituer font toutes les démarches nécessaires mais se heurtent à un mur et retombent dans une vie de merde », lâche Jérôme Expuesto. Mais France Arnould se veut encourageante : « Si la personne s’en donne les moyens, c’est possible ! »

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