Tunis accueille le Forum social mondial

Démocratie, islamisation, femmes, minorités… Les questions qui agitent le Moyen-Orient et le Maghreb domineront le rendez-vous des altermondialistes.

Patrick Piro  • 21 mars 2013 abonné·es

Dans l’euphorie du printemps arabe de 2011, les mouvements sociaux tunisiens avaient proposé d’accueillir chez eux la planète altermondialiste pour le Forum social mondial 2013 (FSM). Une première pour le monde arabo-musulman. Le rassemblement se tiendra sur le campus universitaire El Manar de Tunis du 26 au 30 mars ^2. Et c’est déjà une petite victoire : deux ans après le renversement du régime Ben Ali, la Tunisie vit des soubresauts qui auraient pu le remettre en cause. L’immolation par le feu d’un vendeur à la sauvette en plein centre de Tunis, le 12 mars, et surtout l’assassinat, le 6 février dernier, de Chokri Belaïd, l’un des ténors de l’opposition, ont provoqué un regain de tensions et de défiance envers le parti islamiste Ennahda, qui détient le pouvoir et qu’une partie de la population juge responsable du crime. « Cependant, si le Forum social mondial est un enjeu fort pour les mouvements sociaux, sa tenue l’est aussi pour le gouvernement, qui entend afficher que la Tunisie est un pays démocratique, relève Maxime Combes, membre d’Attac. L’événement, perçu comme un moment exceptionnel, suscite la fierté nationale. »

Près de 50 000 personnes sont attendues, en majorité issues du Maghreb et du Machrek (Moyen-Orient). Les Français et les Italiens (plusieurs milliers), l’Amérique du Nord, le Brésil et l’Inde seront également bien représentés. Attendus aussi, les nouveaux mouvements sociaux – Indignés (Europe), Occupy (Amérique du Nord et autres), Printemps érable (Québec), Y’en a marre (Sénégal)… Au total, 4 000 organisations issues de 128 pays se sont annoncées, « ce qui classe ce FSM parmi les plus mobilisateurs en termes de diversité », relève Gus Massiah, représentant du Crid (l’un des principaux collectifs français de solidarité internationale) au Conseil international du FSM. L’inévitable débat entre laïcité et islamisation, qui empoisonne le processus démocratique en Tunisie et en Égypte notamment, pèse par avance sur le FSM. Certains observateurs redoutent ainsi que la gauche tunisienne tente d’en faire une tribune politique dans sa lutte contre le pouvoir, étouffant les débats sociaux et écologiques – égalité femmes/hommes, droits des minorités, alternatives économiques, migrations, crise énergétique, etc. « Nous devrons être vigilants ; cependant, les étapes préparatoires ont plutôt montré l’envie de dépasser le cadre des problèmes locaux, veut rassurer Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale du Crid. Au-delà des crispations, toute la société civile s’intéresse au forum : les historiques de la lutte contre Ben Ali, les mouvements de jeunesse, les réseaux de militants sur Internet, des mouvements de chômeurs, et même certains groupes de confession musulmane rejetant le salafisme et la violence politique. » D’autres débats complexes vont s’inviter aux premières loges, prévoit Christophe Aguiton, observateur averti des questions internationales à Attac. Dont l’avenir du peuple sahraoui, l’intervention française au Mali, « que critique une partie des militants arabes », et même la guerre civile en Syrie –  « des résurgences de la mouvance panarabe, qui soutiennent le régime Al-Assad, voudront s’exprimer… ».

Tunis s’interrogera aussi sur l’évolution et la stratégie des mouvements sociaux – en crise en Europe, associés en Amérique latine à la conquête du pouvoir par des régimes antilibéraux, acteurs des révolutions arabes, etc. « Le FSM s’est initialement construit en opposition au forum de Davos, à la Banque mondiale et au FMI, face auxquels il a marqué des points, analyse Gus Massiah. Mais ces institutions sont désormais déclassées. Les principaux détenteurs du pouvoir libéral sont les multinationales et la finance. Comment les affronter aujourd’hui ? »

[^2]: www.fsm2013.org 

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Turquie : « J’ai vécu un remake de l’affaire Dreyfus »
Monde 27 mars 2024 abonné·es

Turquie : « J’ai vécu un remake de l’affaire Dreyfus »

La quasi-totalité des édiles du Parti démocratique des peuples élus en 2019 ont été destitués par le régime turc au bout de quelques mois. C’est le cas d’Adnan Selçuk Mızraklı, porté à la tête de Diyarbakır avec 63 % des voix, qui depuis est en prison. Nous sommes parvenus à établir avec lui une correspondance écrite clandestine.
Par Laurent Perpigna Iban
À Jérusalem-Est, un ramadan sous pression
Monde 20 mars 2024 abonné·es

À Jérusalem-Est, un ramadan sous pression

En Palestine occupée, le mois saint de l’islam cristallise les tensions alors que les Palestiniens font face à de nombreuses restrictions de l’accès au mont du temple et à la mosquée Al-Aqsa. Elles illustrent le régime légal que des organisations de défense des droits humains qualifient d’apartheid. 
Par Philippe Pernot
« Ma vie dépend de ce qui se passe sur le front »
Ukraine 18 mars 2024

« Ma vie dépend de ce qui se passe sur le front »

Dans une interview réalisée le 28 février 2024, l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov nous raconte l’impact de la guerre sur son travail et les questions existentielles qui se posent deux ans après l’invasion russe.
Par Pauline Migevant
« Il y a une volonté d’effacement du peuple palestinien »
Entretien 13 mars 2024 abonné·es

« Il y a une volonté d’effacement du peuple palestinien »

Pour Isabelle Avran, cofondatrice de l’Association France Palestine solidarité, le massacre de la bande de Gaza par Israël est l’acmé inédite d’une volonté d’éradication du fait palestinien.
Par Patrick Piro