Faire sa fête à TINA

Avec cinq millions de chômeurs, ce n’est pas d’habileté manœuvrière dont nos concitoyens ont besoin, mais d’un vrai débat sur l’austérité.

Denis Sieffert  • 18 avril 2013 abonné·es

L’une des formules les plus détestables de feu Margaret Thatcher, c’est le trop fameux « There is no alternative ». « TINA » pour les intimes. Affirmé une première fois en juin 1980, et répété mille fois par la suite, ce déni de démocratie n’était guère étonnant de la part d’une femme qui ne cachait pas son admiration pour Pinochet. Il est troublant, en revanche, qu’un Premier ministre socialiste reprenne à son compte aujourd’hui ce qui est devenu une sorte de profession de foi néolibérale. « Il n’y a pas d’alternative à notre politique », a pourtant affirmé Jean-Marc Ayrault à la veille du conseil national du PS de samedi. Mais en passant de l’anglais au français, le slogan thatchérien a curieusement changé de signification. Avec Thatcher, c’était un imperium. Un défi. Dans la France de 2013, c’est au contraire un aveu d’impuissance.

Depuis une semaine en effet, une petite musique ronronne dans nos médias. S’il n’y a pas d’autre politique possible que l’austérité, ce n’est pas tant la conséquence de notre choix que la faute de la droite allemande. Bref, nous avons voté pour François Hollande, et c’est Angela Merkel que nous avons élue. Comme si le gouvernement avait trouvé un nouveau mantra pour résoudre la contradiction entre les promesses électorales du candidat Hollande et une politique d’austérité qui, nous dit-on, se décide à Berlin. Il est donc permis, dans une certaine limite, de critiquer la politique d’austérité tout en restant au gouvernement, comme l’a fait Arnaud Montebourg dans le Monde, puisque, bien sûr, c’est Angela Merkel qui est visée… Cette hypocrisie a été très justement dénoncée par le chef de file de la gauche socialiste, Emmanuel Maurel. Mais le subterfuge arrange beaucoup de monde. Montebourg, le rebelle, peut poursuivre à l’aise sa partie de billard à deux bandes : j’attaque la chancelière et j’égratigne au passage – presque par inadvertance – notre Premier ministre. Et ça ne déplaît pas non plus à François Hollande, qui, dans la meilleure tradition mitterrandienne, joue sur les deux tableaux, laissant courir un discours « de gauche » dépourvu de toute conséquence pratique. C’est habile, mais ça ne marche pas. Et c’est même dangereux. Car, avec cinq millions de chômeurs et un pays au bord de la récession, ce n’est pas d’habileté manœuvrière dont nos concitoyens ont besoin, mais d’un vrai débat sur la politique d’austérité. Un débat qui suppose que l’on fasse sa fête à « TINA » et que l’on crie haut et fort : « Oui, il y a des alternatives, parce que c’est l’essence même de la démocratie. » Hélas, on a l’impression que le gouvernement préfère le stratagème à la stratégie. Les mesures annoncées le 10 avril pour tenter d’éteindre l’incendie Cahuzac relèvent de la même logique manœuvrière. Tout ce qui est décidé sous l’empire de la panique est évidemment suspect.

On peut s’étonner qu’il ait fallu l’affaire Cahuzac pour que l’on se préoccupe de l’honnêteté de nos ministres, ou pour que l’on entame la bataille pour « éradiquer » les paradis fiscaux. Et, du coup, on se prend à douter de l’efficacité et même de la sincérité de ces annonces (lire à ce sujet l’article de Thierry Brun, p. 8). Surtout quand on vient tout juste de renoncer à une réforme bancaire prometteuse, et d’abandonner l’idée d’une vraie réforme fiscale. Il semble que François Hollande et son entourage se méprennent sur la portée de l’affaire Cahuzac. Croit-on que le traumatisme aurait été le même si le scandale avait éclaté dans un pays en bonne santé économique et sociale, où le chômage serait à son niveau le plus bas, où les banquiers penserait plus à irriguer l’économie réelle qu’à spéculer ? Il y a fort à parier que les turpitudes fiscales de M. Cahuzac auraient été regardées comme un simple et pitoyable fait divers.

Au lieu de ça, il en va aujourd’hui comme dans les années 1930, ce n’est pas « l’affaire » en soi qui importe mais le climat dans lequel elle surgit, et qui donne à la fraude de l’ex-ministre une signification politique générale. C’est la peur du lendemain et ce fort sentiment d’injustice que partagent la plupart de nos concitoyens. Et que nous dit le gouvernement ? Il nous propose des gadgets au goût plus ou moins douteux, comme la publication des patrimoines des ministres, et il continue de nous suggérer que les vraies décisions se prennent ailleurs, que la politique économique et sociale ne nous appartient plus. Et le Premier ministre va répétant cette phrase lancinante qui lui tient lieu de programme : « Il n’y a pas d’alternative. » Le plus désespérant des slogans ! L’espoir, pourtant, existe. Des économistes, sérieux et nombreux, nous montrent un autre chemin. Le Front de gauche aussi. Ce qui est nouveau ces jours-ci, c’est que cette certitude qu’une autre politique est possible s’exprime à voix haute, au sein même du Parti socialiste, et chez les Verts. Qu’une personnalité comme Eva Joly, candidate des écolos à la présidentielle, annonce son intention de participer à la manifestation du Front de gauche, le 5 mai, est évidemment un événement. On imagine qu’elle n’est pas la seule dans sa famille politique.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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