Pas de très bonne humeur…

Cela fait au moins dix ans que les forgerons de l’opinion exhibent leur décomplexion.

Sébastien Fontenelle  • 13 juin 2013 abonné·es

Que je te dise : je ne suis pas de très bonne humeur. Les commentaires médiatiques des un(e)s et des autres après la mort de Clément Méric, tué la semaine dernière par des fafs, commencent à me gonfler – et je ne parle pas ici des petites (ou moins petites) crapules qui nous expliquent doctement que la mort de ce jeune homme est le résultat, certes assez triste, d’une banale bagarre de rue entre extrémistes équivalents : après tout, ces gens sont payés pour débiter des saloperies, et nous ne devrions plus nous étonner de ce qu’ils s’acquittent avec beaucoup d’application de ce si digne job. Le plus insupportable est le chœur de tous les doctes résistants – « socialistes », pour l’essentiel, mais avec aussi, dans le paquet, de fieffé(e)s éditocrates – qui vont récitant que c’est la faute à une  « ambiance » malsaine, à un « climat » incommodant, à une « droitisation » qu’ils font remonter aux lendemain et surlendemain de l’élection de François Hollande, et à une « radicalisation » qui daterait des premiers défilés homophobes contre le mariage pour tous. Car, certes, leurs déplorations peuvent donner l’impression d’être sincères.

Mais, dans la vraie vie, ce n’est pas depuis le mois de mai dernier que le discours public s’est très salement dégradé. Dans la vraie vie, c’est depuis (au moins) dix ans que des forgerons de l’opinion exhibent leur « décomplexion » dégueulasse – et qu’elle se cristallise, pour l’essentiel, et c’est sans le moindre doute le point le plus important, dans une stigmatisation maladive des musulman(e)s.

Et là, force est de constater  que la « gauche » n’est pas du tout en reste de vilenies. Force est de constater que « nos » émotifs dénonciateurs de « l’horreur fasciste » – des jeanmoulins du Parti de gauche à Caroline Fourest [^2] en passant par les « socialistes », tous très facilement reconnaissables à ce qu’on ne les avait jamais vus, jusqu’à jeudi dernier, dans la moindre manif antifasciste – se sont montrés beaucoup moins vigilants que ne pourraient le laisser penser leurs bouleversantes déclamations de ces derniers jours. Force est de constater qu’ils ont obsessivement participé, sous des couverts divers – et sous celui, notamment, de la défense d’une laïcité complaisamment truquée –, à l’entretien d’une défiance systématisée à l’égard des musulman(e)s et d’une islamophobie qui est précisément ce qui fédère aujourd’hui les groupuscules néonazes dont ils déplorent si fort la brutalité.

Voici pour vous, tristes pitres, les infos du jour : le 20 mai au soir, la jeune Rabia B. a été agressée et rouée de coups à Argenteuil (Val-d’Oise) par des ordures qui lui ont arraché son foulard en la traitant de « sale Arabe » et de « sale musulmane ». Vous en êtes-vous offusqués ? Avez-vous compati ? Non point. J’ai beau chercher : vous vous êtes tenu(e)s coi(te)s. De sorte qu’on ne sait finalement pas ce qui dégoûte le plus, de ce silence de plomb ou de vos indignations calibrées. 

[^2]: Promue l’autre jour batskinologue chez iTélé : foutage de gueule quand tu nous tiens…

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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