Bruno Patino : « L’audience est un marqueur du lien avec le téléspectateur »

Nouveau directeur des programmes de France Télévisions, Bruno Patino se défend d’un moins-disant culturel dans la future grille, non sans émettre quelques regrets.

Jean-Claude Renard  • 18 juillet 2013 abonné·es

Désormais numéro 2 de France Télévisions, auparavant vice-président du groupe Le Monde, puis à la tête de France Culture, Bruno Patino devra imprimer sa marque sur les programmes à partir de la rentrée. Avec le devoir de concilier ambition et moyens.

Pensez-vous que France Télévisions demeure un service public exigeant ?

Bruno Patino : Quand on regarde la réalité de ses programmes, je pense qu’on peut dire oui. Tout le défi du service public est d’être exigeant et accessible à la fois, exigeant et populaire à la fois, exigeant dans son information, son divertissement et sa culture. L’exigence, c’est le souci de l’autre, du téléspectateur et donc le souci de l’accessibilité.

Dans quelle mesure une restriction budgétaire affecte-t-elle la qualité des programmes ?

Il faut bien avoir en tête que les économies demandées, en termes de programmes, correspondent peu ou prou à l’équivalent du coût des grilles de deux chaînes de la TNT. Penser que cela n’a pas d’incidence sur le nombre de programmes qu’on met à l’antenne serait illusoire. Il n’en reste pas moins que notre obligation est de maintenir la qualité. Il est vrai qu’à court terme cela implique des décisions qui apparaissent contradictoires avec une certaine télévision.

Est-on sûr qu’avec plus de moyens on ferait mieux ?

On peut imaginer que nos moyens n’augmenteront pas dans les années à venir. Il faut qu’on apprenne à développer la qualité des programmes avec des moyens qui n’augmentent pas. Mais, dire cela, ce n’est pas dire non plus que, si les moyens baissent, on peut faire exactement la même chose. Faire des programmes de grande qualité, cela coûte de l’argent.

Avec la suppression de « Des mots de minuit » ou « Taratata », il semble qu’en cas de crise ce soit la culture qui trinque…

Il se trouve en effet que les émissions supprimées en premier lieu, diffusées la nuit, étaient des émissions culturelles. On peut voir les choses de deux façons : la première est de se dire que la culture est attaquée, la seconde est qu’il n’était pas normal que ces émissions soient diffusées la nuit. Je me porte sur cette deuxième façon de voir. Nous avons donc déjà annoncé qu’il y aura sur France 2 une émission musicale, renouvelant le genre de « Taratata », en deuxième partie de soirée. Vous allez me dire qu’on aurait pu mettre « Taratata » à cette heure. Mais nous avons décidé de la renouveler, même si elle est emblématique, même si sa marque reste dans la mémoire collective. Quant à « Chabada », il y aura une autre émission musicale, à la même heure. C’est aussi un choix de renouvellement. Concernant « Des mots de minuit », d’une certaine façon, je peux être amené à le regretter, mais les programmes après minuit ont particulièrement souffert d’une politique d’économies. Il nous appartient de retrouver « Des mots de minuit » et son esprit ailleurs dans la grille. On s’y emploie. Cela étant, la densité de programmes culturels ne sera pas absente à la rentrée.

L’installation du « Grand Soir 3 » ne s’est-elle pas faite au détriment du documentaire ?

En termes de programmation, cela a été un effet induit et non voulu, qui sera corrigé à la rentrée. En termes de commandes, la place du documentaire sur France 3 ne change pas.

France 4 diffuse principalement des séries américaines. Il avait été envisagé d’en faire une chaîne jeunesse. Qu’en est-il ?

Il est encore un peu tôt pour le dire, mais France 4 va renouveler ses programmes en janvier 2014. Si, en effet, la programmation de séries américaines est importante, il ne faudrait pas oublier certains programmes comme « Viens dîner dans ma cité » ou « Masterclass », qui ont vocation à rester sur la chaîne, laquelle, malgré plus de programmes tournés vers les jeunes, ne deviendra pas une chaîne jeunesse pour autant.

Quel est l’avenir du secteur transmédia, jusque-là très dynamique ?

C’est là où se réinvente une partie de la télévision, avec l’ensemble de son personnel, auteurs, réalisateurs producteurs, qui feront la télé de demain. Il est donc absolument essentiel pour le service public d’être moteur dans ce secteur [^2]. Et l’influence des nouvelles écritures sera justement beaucoup plus présente encore sur France 4 en 2014.

Les jeux télé ont-ils leur place quand il y a des économies à faire ?

Ce sont des émissions de flux, dont les budgets ne sont pas les plus élevés de la télé. Il faut qu’il y ait du divertissement à la télévision, sous forme de jeux ou de spectacles. Ce divertissement sur le service public ne doit pas être vain, mais provoquer l’estime de soi et l’estime des autres. Quelles que soient mes appétences personnelles, je pense qu’on ne peut faire l’impasse sur les jeux et le divertissement, dans la mesure où ce sont aussi des moments de rassemblement très importants. La télé de service public appartient à tout le monde, et certainement pas à ceux qui la dirigent, même pas à ceux qui la font.

France Télé court toujours après l’audience…

Non, pas du tout. Le poids de l’audience de France Télé marque quelque chose de son rapport au public. S’il paye pour la télévision, le public doit payer pour une télévision qu’il regarde. L’audience n’est pas un objectif mais un marqueur important du lien qui existe avec le téléspectateur. Il y a deux questions. Est-ce que France Télé s’adresse à tout le monde ? Est-ce que tous les goûts sont représentés sur France Télé ? C’est en cela que France Télé ne court pas après l’audience mais regarde les audiences pour trouver ses marques.

La situation financière actuelle du groupe se lie à la réforme de l’audiovisuel public de Sarkozy…

Cette réforme a induit une incertitude majeure. Dans le financement de France Télé, il y avait une ressource stable qui est la redevance, et une ressource de marché : la publicité. La seule ressource fiable aujourd’hui est la redevance, à côté d’une ressource publicitaire fortement dégradée puisqu’elle ne peut se vendre qu’en journée. On y a ajouté une instabilité, celle de la dotation de l’État, qui est revue chaque année dans le cadre de la loi de finance. C’est donc beaucoup d’incertitudes pour le groupe public.

Bruno Patino est directeur des programmes et du numérique à France Télévisions.

[^2]: Son budget est de 3,5 millions d’euros.

Temps de lecture : 6 minutes