Gare aux vertiges de la technoscience

Le transhumanisme est une manifestation de la crise de l’humanisme, estiment le philosophe Miguel Benasayag et le biologiste Pierre-Henri Gouyon.

Ingrid Merckx  • 25 juillet 2013 abonné·es

L’homme augmenté serait un symptôme. C’est du moins le diagnostic que glissent le philosophe Miguel Benasayag et le biologiste Pierre-Henri Gouyon dans leur dialogue Fabriquer le vivant  [^2]. Il est la manifestation suprême d’un nouveau dogme ou idéal : « Tout est possible. » Le développement des sciences du vivant a entraîné un changement de paradigme. L’humanisme est en crise, le lien social défait, et l’homme et la vie désacralisés au profit d’une « puissance extérieure technico-économique ». En outre, la «  quasi-majorité des responsables succombe aux vertiges de la technoscience ». « Puisqu’il n’y a plus de destin commun, la seule réalité qui existe, c’est “moi”. » Nos sociétés occidentales et libérales sont des agglomérats d’individualités, de « singularités », disent les Anglo-Saxons. « La postmodernité est porteuse d’un post-humain absolu qui concerne la gauche comme la droite : la figure de l’homme de l’époque humaniste a laissé la place à un mixte “biotique” mêlant biologie et technique, un hybride. » Au rêve de l’homme nouveau, pour lequel il fallait changer la société, a succédé celui de l’homme augmenté, qui se change tout seul. Mais augmenté par rapport à quoi ? interroge Miguel Benasayag. Et, surtout, cet homme augmenté met finalement sa vie au service de la « vieille idéologie du progrès », défendue aussi bien par une « certaine droite » que par une « certaine gauche », l’écologie politique ayant contribué à changer la donne. « La contre-utopie orwellienne de 1984 n’a pas été réalisée par les pays soviétiques, mais est en train de se voir réalisée, à une vitesse incroyable, par les pays capitalistes. » Paradoxe : le triomphe total de l’inné a laissé place au triomphe total de l’acquis, résume Pierre-Henri Gouyon. Face à cela, le philosophe estime : « Poser l’hypothèse que tout n’est pas possible est absolument nécessaire.  […] Cela peut constituer une force positive, tournée du côté de la recherche de la vie, dès lors qu’on affirme en même temps que cela n’implique aucunement de s’identifier aux tenants rétrogrades du retour aux valeurs prémodernes, qui considéraient comme “naturels” – et donc intangibles – les fondements d’une société structurellement inégale. »

[^2]: Fabriquer le vivant. Ce que nous apprennent les sciences de la vie pour penser les défis de notre époque , Miguel Benasayag et Pierre-Henri Gouyon, La Découverte, 164 p., 15 euros.

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