Les mutants du stade

Le monde du sport, en quête effrénée de records, manipule depuis toujours le corps pour accroître ses performances.

Patrick Piro  • 25 juillet 2013 abonné·es

Lorsqu’un sportif culmine dans sa discipline, on le dit volontiers « extraterrestre ». Christopher Froome, lui, a été qualifié de « quasi-mutant » après sa performance hors norme lors du Tour de France 2013. Et ce n’est pas une louange. Les cyclistes les plus performants développent près de 400 watts (W) de puissance. Vers 430 W, on entre dans la zone « miraculeuse ». Froome, avec ses 450 W, fait « mieux » que Pantani et même Armstrong, retentissants dopés [^2]. Or, le Britannique est sorti blanc des contrôles… Améliorer toujours plus les performances du corps : l’ambition est vieille comme les Jeux olympiques. On a commencé par astreindre les sportifs à des entraînements intensifs, voire inhumains. Avec l’usage de « drogues », naît le débat sur l’humain artificiellement augmenté : violer la frontière naturelle des capacités du sportif est depuis toujours considéré comme inacceptable par la société. Mais les enjeux – individuels, collectifs, politiques, économiques… – sont tellement importants que cette transgression s’est installée depuis des décennies dans le monde du sport. D’abord outrancièrement signée par le corps bibendum de nageuses, de sprinteurs, d’haltérophiles bourrés d’hormones. L’alchimie sportive du XXIe siècle, à base d’EPO ou de transfusions sanguines, est devenue plastiquement indétectable. Et le dopage génétique, qu’évoquent certains, ne devrait pas longtemps rester une chimère. À quand l’ère « no limits », où s’affronteraient des compétiteurs réellement mutants ?

À l’opposé des spéculations sur la triche médico-chimique, le débat sur les sportifs augmentés se joue cartes sur table avec les compétiteurs appareillés. Le plus célèbre est l’athlète sud-africain Oscar Pistorius : deux lames profilées en fibre de carbone remplacent ses jambes amputées sous le genou. La prothèse, indéniablement performante, confère-t-elle à Pistorius un avantage indu face à ses concurrents « valides » ? Les instances sportives ont estimé aux JO de Pékin (2008) que sa place était en compétition paralympique. Mais cette décision a ensuite été cassée par le Tribunal arbitral sportif. Aux JO de Londres (2012), Pistorius atteint les demi-finales du 400 mètres des « valides ». Le monde du sport, depuis toujours accroché aux limites naturelles des performances du corps, reconnaît enfin l’obsolescence de cette notion figée, se réjouit le mouvement transhumaniste. « Plus vite, plus haut, plus fort » : la devise olympique lui convient parfaitement, justifiant sa promotion de l’humain augmenté. Le philosophe suédois Nick Borström, l’un des penseurs de la mouvance, y met cependant un bémol moral : l’amélioration artificielle des performances d’un compétiteur s’obtiendrait au détriment de ses adversaires, et le transhumanisme aurait alors peine à convaincre qu’il vise un « bienfait intrinsèque [^3] » pour la société. D’autres défendront au contraire l’intérêt collectif du spectacle de records sportifs sans fin.

[^2]: Cette méthode de calcul des puissances a été mise au point par l’ex-coach Antoine Vayer et Frédéric Portaleau, ingénieur en mécanique des fluides.

[^3]: in www.revueargument.ca

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