Affaire Leonarda : les lycéens veulent une loi

Répondant à l’appel de RESF avec une quinzaine d’organisations, les représentants des lycéens ont réclamé une loi protégeant les élèves sans papiers et les jeunes majeurs dans les locaux de la FCPE, hier à Paris.

Ingrid Merckx  • 22 octobre 2013
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Affaire Leonarda : les lycéens veulent une loi

Khatchik est en ligne. Il est dans la maison de sa grand-mère, dans un village à une quarantaine de kilomètres d’Erevan en Arménie. Le son lui parvient avec du retard. Il ne comprend pas toutes les questions que lui posent les journalistes. Eux, en revanche, l’entendent très distinctement dans cette salle de la FCPE, à Paris, où le Réseau éducation sans frontières (RESF) a organisé une conférence de presse ce 21 octobre, « pour faire le point après l’intervention du président de la République » [le 19 octobre à la télévision, ndlr].

Brigitte Wieser, de RESF, reprend le combiné et redemande à ce lycéen de 19 ans, expulsé de France le 13 octobre, dans quelles conditions il vit son arrivée dans un pays où l’attend un enrôlement forcé dans l’armée : ne s’étant pas présenté à l’appel pour le service militaire, il a été décrété déserteur. Ses parents sont restés en France où il était scolarisé au lycée parisien Camille Jenatzy. Le jour de ses 19 ans, il a été placé en rétention, puis expulsé.

Leonarda, l’arbre qui cache la forêt

L’histoire de Khatchik a fait nettement moins de bruit que celle de Leonarda. Mais la notoriété de celle-ci a un peu rejailli sur celui-là. Leonarda devenant, aussi, le nom de code de la lutte contre les expulsions d’élèves aux parents sans papiers. L’arbre qui cache la forêt.

Illustration - Affaire Leonarda : les lycéens veulent une loi

Pour preuve : les lycéens qui sont descendus dans les rues la semaine du 14 octobre réclamaient le retour de Leonarda ET Khatchik. Et partant, des élèves déjà expulsés, comme Blendon, Kosovar de 12 ans, hémiplégique, pour lequel RESF demande sans relâche un visa pour soins. Et des élèves potentiellement expulsables, comme Tika et Ana, petites filles de 11 et 5 ans d’origine géorgienne, scolarisées à Albertville grâce à la mobilisation du réseau et des habitants.

Maia, Tika, Ana…

Leur mère, Maia, se trouve dans la salle, assise à la table qui réunit plus d’une quinzaine d’organisations dont RESF, la FCPE, le Gisti, la Cimade, la LDH, la FDL et l’UNL, la FSU, le PC, les Verts… Souriante, vêtue d’un tee-shirt à manches longues où apparaît la tête brillante d’un félin, elle fait le pari de la médiatisation après s’être cachée et avoir dû éparpiller sa famille pour éviter une expulsion.

« Ils ne peuvent justifier que de trois ans et demi de présence en France , explique Brigitte Wieser. Soit ils se cachaient pendant dix-huit mois. Soit ils prenaient le risque de s’exposer mais protégés par les habitants. » Ils se sont rendus aux universités du PS, ils ont été applaudis sur la grande scène de la Fête de l’Huma, les rentrées successives de leurs deux filles à Alberville se sont faites sous les feux des projecteurs…

Une circulaire n’a pas force de loi

« Une circulaire n’a pas force de loi, souligne Juliette Chilowicz, de la Fidl, en marge de la conférence de presse. Nous attendons un signe fort de la gauche. Ce qu’il faut, c’est une loi interdisant les expulsions de jeunes scolarisés, étudiants ou en formation. Si l’école est protégée mais que les élèves peuvent se faire arrêter à la sortie, ils vont avoir peur d’aller en cours… » La Fidl a décidé de profiter des vacances scolaires, qui viennent de débuter, pour aller tracter dans les facs contre les expulsions, histoire de mobiliser leurs aînés. Et donne rendez-vous pour de nouvelles mobilisations la semaine du 4 novembre.

Même écho du côté de l’UNL. « Une circulaire sanctuarisant l’école, c’est bien, mais il faut aller plus loin, protéger tous les jeunes inscrits dans un parcours d’éducation , insiste Ivan Dementhon. Les lycéens ont répondu à notre appel, ils y répondront encore au retour des vacances. »

La peur qu’ils ont inspirée au gouvernement ne l’étonne guère : « Les jeunes font peur. Pourtant, il n’y a pas eu de débordements, juste un ou deux qui ne pouvaient nous être reprochés. Et tous les lycéens qui se sont mobilisés parlaient d’une seule voix pour réclamer le retour de Leonarda et de Khatchik. Ils sont nombreux comme eux, silencieux dans les établissements ou assignés à résidence avec leur famille. De nombreux témoignages nous parviennent. Le gouvernement ne doit pas nous craindre mais il faut qu’il nous écoute et qu’il nous entende : n’a-t-il pas fait de la jeunesse sa priorité ? »

Poursuite des lois sarkozystes

Pour le RESF, cette circulaire qui sanctuarise l’école, « c’est se foutre du monde , résume Brigitte Wieser. Ce n’est pas ça qui a mis le feu aux poudres mais l’expulsion d’un élève. » Si la circulaire Valls de novembre 2012 permet la régularisation de nombreuses familles, en matière d’expulsions d’élèves elle est « en deçà » de la circulaire Sarkozy d’octobre 2005 qui protégeait les enfants de parents sans papiers pendant l’année scolaire. Celle-ci avait fait redouter des expulsions massives au 1er juillet mais avait permis de nombreuses régularisations. Le PS reste très attendu sur l’immigration, cet « impensé de la gauche »…

Voir les appels des lycéens pour la semaine du 4 novembre.
UNL et Fidl

Société Travail
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