Russie : Poutine terrorise les écologistes

Des militants de Greenpeace qui voulaient alerter sur les risques d’une marée noire ont été arrêtés et emprisonnés pour « piraterie organisée ». Au-delà de leur cas, ce sont toutes les contestations environnementales qui sont durement réprimées.

Claude-Marie Vadrot  • 17 octobre 2013 abonné·es

Les militants ou sympathisants russes de Greenpeace, à Saint-Pétersbourg et à Moscou, n’osent plus rentrer chez eux. Ils craignent d’être interpellés et accusés de « complicité » avec la trentaine de membres de l’organisation arrêtés le 18 septembre. Ce jour-là, les commandos héliportés des gardes-côtes russes sont intervenus alors que quelques écologistes tentaient de se hisser sur la plateforme pétrolière offshore de Prirazlomnaïa, en mer de Petchora, au sud de la Nouvelle-Zemble. Une installation du géant russe Gazprom spécialement conçue pour résister à la pression des glaces hivernales. Les gardes-côtes ont déchiqueté à la mitrailleuse les canots pneumatiques de Greenpeace, puis, après avoir détruit les installations radio, ils ont pris possession de l’Arctic Sunrise pour le conduire à la base de Severomorsk, près de Mourmansk, là où des sous-marins nucléaires pourrissent depuis la disparition de l’URSS, sans que leurs réacteurs aient été démontés. Un « cimetière » que les journalistes ne peuvent plus visiter depuis des années.

Greenpeace, avec cette action symbolique, comme elle l’a déjà fait au large du Canada et de l’Alaska, voulait attirer l’attention de la communauté internationale sur les risques d’une marée noire dans les eaux glacées du Grand Nord. Notamment pour les ours blancs et les morses, dans une zone théoriquement préservée par des réserves naturelles et un parc national mis en place par la Russie en 2009. Les membres de l’expédition ont été emprisonnés et accusés de « piraterie en bande organisée ». Ils risquent quinze ans d’internement en camp de travail. Voire plus depuis que les autorités russes ont affirmé avoir découvert sur leur bateau, laissé sans surveillance, de la drogue et du « matériel d’espionnage ». En fait, la morphine de la pharmacie du bord, de puissants talkies-walkies et des jumelles pour la vision de nuit. Cette « découverte » pourrait leur valoir une peine plus grave encore. Pour l’instant, les militants et les journalistes qui les accompagnaient refusent de répondre aux enquêteurs et ne reconnaissent évidemment pas leur culpabilité. Leurs avocats, également menacés, dénoncent les conditions dans lesquelles ils sont internés. En réalité, les autorités ne supportent pas que des Russes ou des étrangers contestent leur droit à exploiter les réserves d’hydrocarbures de l’Arctique, et surtout qu’ils s’approchent des deux îles de la Nouvelle-Zemble. Des essais atomiques ont été réalisés dans cet archipel, et des milliers de tonnes de déchets radioactifs y sont enfouies. Sans oublier d’autres sous-marins et le célèbre brise-glace nucléaire Lénine qui pourrissent sur le littoral.

De plus, les Russes sont en train de recoloniser cet espace de 83 000 km2 pour en faire un poste de contrôle sur la route maritime, de plus en plus dégagée par la fonte des glaces en raison du réchauffement climatique. La population – environ 3 000 personnes actuellement – augmente rapidement et est astreinte au secret absolu sur ses équipements. Et toute critique provenant des écologistes russes fait immédiatement l’objet de poursuites judiciaires. Greenpeace et quelques autres ont surtout commis l’imprudence de s’attaquer au géant des hydrocarbures : Gazprom. Un état dans l’État, soumis à Vladimir Poutine, et qui assure l’essentiel des revenus en devises du pays mais contrôle également des établissements bancaires et de nombreux médias écrits ou audiovisuels. Par l’intimidation et la corruption [^2]. Mais c’est une habitude dans la Russie de Poutine : toutes les contestations environnementales font l’objet d’une répression systématique. Qu’il s’agisse des exactions perpétrées par des hommes de main contre les opposants à l’autoroute Saint-Pétersbourg-Moscou ou de poursuites judiciaires lorsque des petits groupes d’écolos protestent contre le pillage de la forêt et de la faune en Sibérie orientale ou la destruction des paysages pour les travaux des Jeux olympiques d’hiver de 2014 dans le Caucase. À Tcheliabinsk, dans l’Oural, ceux qui osent dénoncer la pollution atmosphérique – qui diminue l’espérance de vie des habitants de la région – sont persécutés et se voient refuser l’accès aux médias locaux. Des journalistes paient parfois de leur vie leur tentative de raconter la réalité environnementale, ou se retrouvent lourdement handicapés, comme à Moscou mais aussi à Tomsk ou à Stavropol. Au-delà des répressions locales, des meurtres et des tabassages contre ceux qui réussissent à informer quelques médias nationaux imparfaitement censurés, le pouvoir dispose d’une arme absolue : la loi de 2012, qui instaure un enregistrement et un contrôle permanent des mouvements soupçonnés d’avoir des contacts internationaux et donc «  d’être financés par l’étranger  ». Ce qui est le cas de Greenpeace, qui, comme d’autres, est donc a priori suspectée d’être une organisation subversive vouée aux «  activités destinées à nuire à la Russie  ».

La répression de la contestation prend de plus en plus d’ampleur. Elle concernera notamment tous les journalistes occidentaux présents lors des JO d’hiver de Sotchi puisque toutes les correspondances, téléphoniques ou informatiques, seront surveillées par le FSB (ancien KGB). Lequel se réservera le droit de décider de l’expulsion des correspondants qui oseront évoquer des sujets autres que sportifs. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les assassins et les commanditaires du meurtre d’Anna Politkovskaïa, abattue il y a sept ans dans le hall de son immeuble moscovite, courent toujours.

[^2]: Pour en savoir plus, lire Gazprom : le nouvel empire , Alain Guillemoles et Alla Lazareva, éd. Les Petits matins.

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