Emmanuelle Cosse, l’inclassable

Ancienne présidente d’Act Up, Emmanuelle Cosse brigue la direction d’Europe Écologie-Les Verts. Une pragmatique qui a toutes les cartes en main pour « tenir » un parti divisé. Et une femme de terrain dotée de solides convictions à gauche.

Pauline Graulle  • 14 novembre 2013 abonné·es

Chez EELV, beaucoup la connaissent comme « Madame Baupin ». Ultra-favorite dans la course pour le poste de secrétaire national du parti, Emmanuelle Cosse est pourtant en train de se faire un nom propre. Jeune quadra parisienne, mère de jumeaux de 6 mois, la compagne du vice-président de l’Assemblée nationale est décrite par ses proches comme un « monstre de travail », courageuse et excellente communicante. Pour les uns, c’est une femme de défi et de terrain, aux convictions chevillées au corps. Pour d’autres, une femme d’appareil ambitieuse, un rien opportuniste. Amis ou pas, tous l’estiment en tout cas taillée pour le rôle de patronne des Verts. Jusqu’au transfuge Noël Mamère, qui la voit en digne successeur de Pascal Durand :  « Elle incarne les deux faces de Janus. L’ouverture, puisqu’elle vient de la branche Europe-Écologie, le sérail, puisqu’elle est une proche de Duflot. » Emmanuelle Cosse ou la synthèse. Personnalité parfaite pour parti divisé. Son passé d’activiste à la gauche de la gauche plaît à la frange « gauchisante » des Verts. Sa proximité avec les huiles du parti (son « amie » Cécile Duflot, son compagnon…) lui assure la bienveillance des tenants de l’appareil. Au point que son nom circulait bien avant l’annonce du départ de Pascal Durand. « Les trucs d’appareil n’ont pas de prise sur moi, assure-t-elle pourtant de sa voix grave et rythmée. Mon but, c’est de faire avancer les idées écolos dans la société. » Foin de théorie, le « pragmatisme » pour tout vade-mecum .

De ce côté-là, Emmanuelle Cosse a été à bonne école. À 17 ans, cette fille de kinés maoïstes, encartée à la Fidl, est l’une des plus jeunes militantes d’Act Up. Aux côtés des malades, elle apprend ce que signifie l’engagement véritable. Mais aussi que le compromis et la stratégie en font partie : « Quand on bosse à Act Up, on peut à la fois taper sur les labos et considérer qu’ils sont nos alliés, explique Philippe Mangeot, ancien président de l’association parisienne. On accepte un peu d’impureté au nom de l’efficacité. » À force de travail, l’étudiante en droit prend la tête de l’association parisienne en 1999. Une présidente séronégative : du jamais vu. « Par le travail, elle a légitimé son illégitimité biographique, dit joliment Mangeot. Ce qui est à la fois étrange et émouvant dans son parcours, c’est qu’au lieu d’aller directement à la politique, elle est passée par la lutte contre le sida. » Une lutte qui conduit Emmanuelle Cosse aux sans-papiers, aux migrants, aux usagers de drogue, aux exclus en général. Pendant le mouvement social de 1995, elle est de toutes les manifestations. Croise Christophe Aguiton et Claire Villiers, des mouvements de chômeurs. En 1997, elle coécrit le manifeste Nous sommes la gauche pour rappeler à Jospin, futur Premier ministre, que la « gauche officielle » ne gagnera pas sans la « gauche réelle ». Repérée par Clémentine Autain, qui la nomme rédactrice en chef du mensuel antilibéral Regards en 2007, Emmanuelle Cosse dirige l’équipe d’une main de maître, sans rechigner à mettre l’autre dans le cambouis. L’efficacité, toujours… Lassée des « incantations de la gauche radicale », la « noniste » au Traité constitutionnel européen – qui se méfie cependant de la « vision guerrière » sur l’Europe d’un Jean-Luc Mélenchon – fait ses premiers pas politiques chez les Verts. Aux municipales de 2008, elle est approchée par le parti, à la demande de Denis Baupin, chef de file à Paris. On l’imagine en tête de liste dans le IIIe arrondissement. Mais le quartier gay est aussi le fief d’écolos pas tout à fait adeptes de « l’ouverture », et l’idée est abandonnée.

Il faut attendre la création d’EELV, à la suite du succès des élections européennes de 2009, pour qu’ « Emma » revienne sur le devant de la scène. Le parti a opéré sa mue et agrège désormais à égalité les anciens Verts et les petits nouveaux de la société civile. L’ancienne journaliste de Têtu devient la cheville ouvrière de la campagne des régionales de 2010. « Elle en a bluffé plus d’un en interne. Ses qualités d’expression et de synthèse… On a découvert une vraie personnalité », raconte Renaud Martin, militant EELV du XXe arrondissement de Paris. Élue « un peu par hasard » (sic) vice-présidente en charge du logement à la Région Île-de-France, Emmanuelle Cosse prend, une fois encore, le job à bras-le-corps. Découvre les arcanes complexes du secteur du logement, sort les dossiers des placards. « Elle m’a impressionné, affirme Pierre Serne, vice-président chargé des transports à la Région, qui a croisé sa route il y a quinze ans, quand il était responsable LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans) pour les Verts. Elle a porté des dossiers très difficiles à bout de bras, comme celui de la rénovation urbaine à Clichy-Montfermeil. » Un concert de louanges qui fait hurler Didier Lestrade, cofondateur d’Act Up, pour qui l’entrée de son ancienne protégée dans la politique « politicienne » sonne comme une trahison : « Depuis qu’elle est élue, on ne l’entend plus ! Ce silence des politiques, elle était la première à le dénoncer à Act Up. Elle a renié toutes ses convictions. »

Avec le suffrage universel, Emmanuelle Cosse se serait-elle un peu trop rangée ? Sa probable future carrière de numéro un d’EELV fait craindre pour l’impertinence et le toupet qu’on lui connaît. « Elle fait partie de ces gens foncièrement de gauche, très critiques, mais qui se sont fait happer par un parti et vont en défendre la ligne. Il risque d’y avoir peu de place pour les gens qui contestent », déplore Jérôme Gleizes, à la gauche d’EELV. Pierre Serne n’est pas du même avis : « Emma saura écouter les militants et n’aura aucun problème à l’ouvrir si besoin, assure-t-il. D’ailleurs, Duflot a toujours dit qu’elle voulait un parti qui maintienne la pression pour l’aider au gouvernement. » Mais si la ministre ne le veut plus ? Quand certains l’imaginent en « Dame de fer », faisant régner l’ordre dans un parti au bord de l’implosion, d’autres la voient fer de lance d’une fronde antigouvernementale en cas de sortie des ministres écolos du gouvernement. « Avec elle, on ne ferme aucune porte, c’est pour ça qu’elle a été choisie, dit Jérôme Gleizes, mais, quoi qu’elle fasse, on sait qu’elle le fera à fond. » Manière de dire qu’Emmanuelle Cosse, il vaut mieux l’avoir de son côté.

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