«En droit, il n’existe pas d’infractions politiques»

Les « Bonnets rouges » seront-ils épargnés par la justice après les destructions de portiques écotaxe ? Politis a interrogé l’avocat des Conti…

Pauline Graulle  • 6 novembre 2013
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«En droit, il n’existe pas d’infractions politiques»
© Crédit photo: DR, JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Onze bornes et quatre portiques de collecte de l’écotaxe ont été détruits par les « anti-écotaxe », en Bretagne, mais aussi dans les Landes et dans le Nord[^2]. Près de vingt ans après l’incendie du Parlement de Bretagne, à Rennes en 1994, par des marins-pêcheurs en colère, que risquent les auteurs de ces dégradations ?
Politis.fr a posé la question à Me Ralph Blindauer, l’un des avocats des salariés de Continental, poursuivis en avril 2009 pour le saccage de la sous-préfecture de Compiègne.

Politis : Quelle est la procédure quand des débordements ou des dégradations sont commis en marge des conflits sociaux ?

Ralph Blindauer : C’est très variable suivant la gravité des débordements. Lorsqu’il s’agit de dégradations mineures, la position du parquet est, en principe, de garder le dossier sous le coude et, lorsque le conflit s’apaise, de le classer sans suite – rappelons que le parquet n’est jamais tenu de poursuivre. Reste que la « victime » d’une infraction peut passer outre le classement sans suite, et soit déposer une plainte avec constitution de partie civile, soit faire une citation directe devant le tribunal correctionnel.
Quand les Conti ont commis des dégradations à la sous-préfecture de Compiègne, c’est sur instruction du pouvoir politique que le parquet a poursuivi. Cette décision politique de faire un exemple a conduit le parquet à rompre avec la pratique assez bien ancrée de ne pas poursuivre systématiquement. On aurait pu s’attendre à un classement sans suite, mais le pouvoir avait un message à faire passer : la détresse des Conti n’excuse pas tout… En première instance, des sanctions relativement lourdes ont été prononcées, avec des peines de prison avec sursis. En appel, en revanche, ça s’est très sérieusement dégonflé et les peines ont été très légères – sauf pour Xavier Mathieu, qui a refusé de donner son ADN, ce qui se passe encore avec les cinq de Roanne
L’autre jour, j’ai travaillé sur un conflit social avec les salariés de l’Office national des forêts de Nancy. Déchaînés parce qu’ils avaient été gazés par les forces de l’ordre, ces salariés sont venus avec des tronçonneuses et ont abattu des arbres centenaires sur la place de Nancy. J’ai obtenu deux relaxes, et le troisième salarié mis en cause a eu une peine avec sursis. Là encore, il s’est agi d’un jugement d’apaisement.

Comment la justice définit-elle si les destructions sont de l’ordre de l’acte politique ou si elles relèvent du vandalisme pur et simple ?
En droit français, il n’existe pas d’infractions à caractère politique ; il n’existe que des infractions de droit commun. Il n’y a donc officiellement pas de « détenus politiques » et l’« assassinat politique » n’existe pas. Le droit français est en théorie insensible au mobile qui anime la personne qui commet une infraction pénale…

Mollesse des services de police face à la délinquance patronale

Dans le cas des « Bonnets rouges », on estime que les dégradations occasionnées (casse de radars et de portiques) vont coûter entre 4,75 et 6,75 millions d’euros[^3]. En tout cas bien plus cher que celles commises par les Conti… Pierre Moscovici a déjà déclaré que le coût serait « assumé » par l’État->http://marker.to/7ebDCe]… Est-ce justifié ?
J’ai récemment défendu un militant de la CNT qui, pendant le conflit sur le CPE, avait occupé des voies de chemin de fer. Il a été condamné pour cela à 40 000 euros de dommages et intérêts… Dans l’affaire des portiques, le tout est de savoir où les autorités vont mettre le curseur pour poursuivre ou non. Et cela dépend de beaucoup de choses : de l’émoi dans l’opinion publique, des rapports de force politiques, de la volonté de faire un exemple… Attention toutefois : dans ce genre d’affaires, il y a toujours une tendance à l’exagération du préjudice.
Le pouvoir a deux possibilités : soit il n’est pas très courageux et cherche l’apaisement en ne poursuivant pas, soit il s’appuie sur la « jurisprudence Continental » et demande à poursuivre les « Bonnets rouges » – même si le tribunal prononce ensuite un verdict d’apaisement.
Mais je tiens à ajouter quelque chose sur ce thème de la criminalisation de l’action syndicale : j’attends toujours qu’on poursuive aussi les infractions au code du travail ou les cas de discriminations envers les représentants du personnel ! Devant cette délinquance qui produit aussi des dégâts, on ne peut que constater la mollesse des services de police qui savent identifier les auteurs de dégradations, mais pas les délits d’entrave ou les délits de discrimination syndicale… Les enquêtes sont faites n’importe comment, et il y a des tonnes de PV d’inspection du travail qui sont en souffrance ou classés sans suite. Il ne faut pas s’étonner qu’en retour l’impunité patronale conduise les salariés à déraper eux aussi…


BONUS
Dans un entretien vidéo au Progres.fr, hier à Roanne, Thierry Lepaon, secrétaire national de la CGT a déploré « un traitement différencié entre le cinq de Roanne et les Bretons » .


Justice : « un traitement différencié entre les… par leprogres


[^2]: Voir lemonde.fr.

[^3]: Un portique coûte de 500 000 à 1 million d’euros suivant la largeur de la chaussée qu’il enjambe; une borne, posée sur le bord de la chaussée, 250 000 euros. La facture du démontage par l’État du portique de Pont-de-Buis, suite à la manifestation du 26 octobre, est également salée : 130 000 euros, annonce Europe 1.

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