Israël : oh, les beaux discours !

Le nombre des colons est passé en vingt ans de 115 000 à 329 000. Combien de discours comme celui de François Hollande pendant toutes ces années ?

Denis Sieffert  • 21 novembre 2013 abonné·es

Quand un Président français se rend en Israël et en Palestine, il y a les mots qu’il se doit absolument de prononcer et il y a ceux qui ne sont pas obligatoires, et peut-être même, pas nécessaires. Pour ce qui est des premiers, François Hollande n’a pas failli. Il a récité son petit catéchisme diplomatique avec une application toute chrétienne. Il n’a pas manqué de rappeler que la France est favorable à un « règlement négocié pour que les deux États, ayant tout deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité ». Tardivement, il a même fini par évoquer la colonisation. « Tardivement », parce que c’est en Palestine, et devant le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qu’il a pour la première fois demandé l’ « arrêt total et définitif de la colonisation ». Mais au mauvais moment et au mauvais endroit, cela ressemblait à une fanfaronnade de Matamore. Ce personnage qui défie son adversaire quand celui-ci est à bonne distance.

Auparavant, le Président français avait même paru assez désinvolte sur le sujet, demandant à ses hôtes israéliens de « faire un geste », tout en suggérant aussitôt que ce geste avait déjà été accompli puisque Benyamin Netanyahou venait d’annoncer le report du plus gigantesque programme de construction dans les Territoires palestiniens. Un projet qui devrait définitivement liquider la solution à deux États. On a donc eu d’abord le sentiment que François Hollande allait dire à chacun ce que chacun voulait entendre. Mais il a finalement fait le service minimum en demandant devant la Knesset, le Parlement israélien, que soit mis fin à la colonisation. C’est ce qu’on appelle « rappeler la position traditionnelle de la France ». Il l’a dit en usant des mêmes mots que Nicolas Sarkozy en 2008.

Ces mots, inspirés par les résolutions de l’ONU de 1967, qui n’ont jamais eu aucun effet. Pas même depuis les accords d’Oslo en 1993. Il suffit pour s’en convaincre de citer quelques chiffres. Le nombre des colons en Cisjordanie est passé en vingt ans de 115 000 à 329 000. Et la partie orientale de Jérusalem compte aujourd’hui deux cent mille colons. Combien de discours comme celui de François Hollande pendant toutes ces années ? Au point que, devant l’incrédulité des opinions et la somnolence des auditoires, il serait peut-être préférable de s’abstenir. Hélas, les seuls à y prêter encore attention, ce sont les journalistes. Ce qui nous vaut des titres claironnants, du genre : « Hollande se prononce pour deux États » ou « Hollande demande l’arrêt de la colonisation ». Sans compter l’apologie du « discours équilibré ». C’est d’ailleurs ce souci d’équilibre qui a conduit le Président français à appeler Mahmoud Abbas au « réalisme », et à taire ses « revendications ». Invitation discrète à renoncer au droit au retour des réfugiés, et peut-être même à passer sous les fourches caudines du gouvernement israélien qui exige la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif. Ce qui revient à imposer à 1,6 million de Palestiniens de nationalité israélienne qu’ils entérinent un statut de citoyens de seconde zone. Nous sommes là dans le registre de ces petites phrases qui n’étaient pas indispensables, mais que l’on prononce quand on veut flatter l’ami Netanyahou. Comme l’éloge devant la Knesset de cette « démocratie israélienne dont rien n’a jamais pu altérer la vitalité ». C’est à croire que le Président français ignore tout du sort des Palestiniens de Galilée ou des Bédouins du Néguev. Et qu’il considère les destructions de maisons, les expulsions, l’accaparement des ressources hydrauliques, l’asphyxie de la population de Gaza, les assassinats extra-judiciaires, les arrestations et les détentions arbitraires comme autant de manifestations ordinaires de la démocratie.

La vérité, c’est que ce voyage avait d’autres objectifs. À la veille du départ de la délégation française, l’Élysée avait regretté que les liens économiques ne soient « guère à la hauteur de la qualité de la relation politique ». Le but était donc de gagner quelques places dans le classement des fournisseurs d’Israël, où la France ne figure qu’en onzième position. François Hollande s’était fait accompagner pour cela de six ministres… et d’une quarantaine de grands patrons, dont ceux d’Alstom, Vinci, Total, Bouygues, Arianespace et Orange… Voilà qui remet à leur place les grands principes. Et c’est ce qui fait que M. Netanyahou peut applaudir un discours qui lui « demande » d’arrêter la colonisation. On est très loin des pressions économiques qui pourraient faire lâcher prise au gouvernement le plus à droite de toute l’histoire d’Israël. Un gouvernement qui a besoin pour sa cohésion et sa propagande d’entretenir dans le pays un climat de peur. C’est aujourd’hui, comme on le sait, l’Iran qui remplit la fonction historique de la « menace existentielle ». En ce domaine aussi François Hollande a su plaire [^2]. Les cyniques espéreront que M. Netanyahou ne sera pas ingrat et que la France, en récompense de tous ces efforts, pourra gravir quelques échelons dans la hiérarchie des partenaires commerciaux de l’État hébreu. Puisque tout le reste n’est que littérature.

[^2]: Voir, en page 15, la tribune de Bernard Ravenel sur le dossier du nucléaire iranien.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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