Tamikrest, ou l’harmonie de lumière

Le groupe touareg affine et affirme son identité album après album. Démonstration avec Chatma.

Jacques Vincent  • 21 novembre 2013 abonné·es

Après s’être fait connaître mondialement, les jeunes groupes touaregs sont aujourd’hui face à deux défis. D’abord continuer à porter la culture et pouvoir parler du quotidien de leur peuple alors qu’ils sont dans l’impossibilité de vivre dans leur pays, notamment le Nord-Mali, depuis le début des événements qui ont bouleversé cette région cette année. D’autre part, ouvrir leur musique et trouver une manière de dépasser la grammaire musicale élaborée par les pionniers de Tinariwen.

Ce troisième album de Tamikrest illustre parfaitement cette double injonction. La crise malienne a empêché le groupe d’enregistrer à Bamako, comme il l’avait fait pour ses deux précédents albums, et l’a contraint à se replier en Slovénie, pays d’adoption de Chris Eckmann, leur producteur, également membre de Dirtmusic. Mais c’est bien de son peuple que Tamikrest continue néanmoins de parler. Ici, à travers la condition des femmes, premières victimes de tous les intégrismes. Ce nouvel album s’intitule Chatma, littéralement « Mes Sœurs », il est illustré d’une magnifique photographie en noir et blanc d’une jeune femme dont le visage semble recéler autant de fierté que de désespoir et de tristesse. Un visage accablé, mais pas vaincu.

Musicalement, cette présence de la féminité s’incarne dans la voix de Wonou Walet Sidati, à la sensualité acide, contrepoint permanent à l’âpreté de celle d’Ousmane Ag Mossa. Chatma est donc un disque à deux voix qui cheminent ensemble, se répondent ou se complètent suivant les chansons. Beaucoup d’entre elles, dans leur introduction, portent encore la marque des musiques touaregs électriques. À la façon d’une aube qui pointe lentement, chaque élément sort doucement de la nuit avant de s’agréger aux autres et de former une harmonie de lumière. L’ouverture tient dans l’instrumentation, l’utilisation de la batterie notamment, et dans certains détails : les échos reggae d’« Itous », les glissandos de guitare rappelant ceux de David Gilmour dans Pink Floyd, ou encore certaines parties instrumentales, moments de flottement, de temps suspendu. On voit que l’évolution se fait par petites touches, mais le paysage n’en est pas moins sensiblement transformé.

Musique
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