«Asparagus» : la fièvre jaune

Dans Asparagus , Fred Léal revient sur le terrain de son service militaire en Guyane.

Christophe Kantcheff  • 19 décembre 2013 abonné·es

«Dans Selva !, mon premier bouquin, j’ai zappé une figure pourtant maîtresse de cette hum… “Odyssée”. » Ainsi s’ouvre le nouveau livre de Fred Léal, Asparagus, sur une sorte de repentir, qui induit un retour sur un épisode que l’écrivain a déjà traité littérairement. Il s’agit, en l’occurrence, des mois passés à Kourou, en Guyane, près des soldats de la Légion, alors que Fred Léal ( « Rod Loyal », dans le texte) accomplissait une mission de renfort en tant que médecin, dans le cadre de son service militaire. Asparagus s’intéresse donc à la « figure » de Jean-Charles Hérisson, dit Charlie, lui aussi conscrit et médecin, tout en étant vétérinaire, dans un régiment d’infanterie de marine basé à Cayenne. Les deux hommes s’y sont rencontrés et appréciés.

C’est d’abord une histoire d’amitié que raconte Asparagus – titre venant du surnom que donnent les militaires à Charlie, « avec sa dégaine de basketteur errant ». Mais Fred Léal opte là, comme souvent, pour une narration buissonnière, « décontractée », suivant une construction pour le moins souple. Ce qui frappe chez Charlie, et qui séduit le narrateur, c’est sa liberté de bon vivant. À preuve, sa faculté à partager son existence avec une autochtone, son humour inépuisable ou son goût instantané pour un écrivain que lui fait découvrir son nouvel ami, Maurice Roche, auteur insolite jouant avec la typographie, référence indiscutable de Fred Léal.

Changement de ton dans la seconde partie du roman. Sur le conseil du narrateur, Charlie accompagne des légionnaires dans une mission en forêt vierge, qui tourne à l’hécatombe, l’un des soldats accomplissant un acte de folie à l’encontre de ses « collègues ». Charlie en réchappe mais meurt, cependant, peu de temps après, d’une maladie étrange. Le roman se transforme dès lors en enquête après coup, Rod cherchant à savoir ce qui s’est réellement passé. C’est essentiellement par des écrits de journaux et des témoignages que le récit avance désormais. Asparagus prend ainsi des allures plus inquiétantes, où sauvagerie, conséquences de la persécution et tréfonds noirs de l’âme humaine s’entremêlent. Comme si le roman lui-même était atteint de la fièvre jaune. Ce faisant, Fred Léal explore un nouveau terrain romanesque, qui enrichit sa palette sans la dénaturer. Car, heureusement, l’ironie et le non-sens ne l’abandonnent jamais.

Littérature
Temps de lecture : 2 minutes