Ramzy Baroud : « Parlons d’abord en termes de droit ! »

Selon Ramzy Baroud, auteur d’une histoire de Gaza, il faut exiger l’égalité des droits avant de négocier une solution avec Israël.

Olivier Doubre  • 12 décembre 2013 abonné·es

Ramzy Baroud, né en 1972 dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza, a récemment publié Résistant en Palestine. Il vit aujourd’hui à Seattle, mais reste en contact avec des intellectuels et des militants aussi bien en Cisjordanie que parmi la diaspora palestinienne. Il porte un regard sévère sur l’évolution du conflit israélo-palestinien, tout comme sur la politique de l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas.

Que pensez-vous de l’actuelle stratégie de l’Autorité palestinienne ?

Ramzy Baroud ≥ Il n’y a pas de stratégie ! Et si nous devions tout de même qualifier cette stratégie, il faudrait dire qu’elle n’a qu’un seul but : le maintien de sa propre existence. Elle est coupée des aspirations et objectifs du peuple palestinien, et a complètement abandonné le projet de libération. Elle pense la Palestine comme s’il s’agissait d’un problème local, centré autour de Ramallah et de quelques autres lieux, s’opposant ainsi à une vision de la lutte impliquant tous les Palestiniens, y compris ceux de la diaspora.

Quel regard portez-vous sur les négociations qui ont repris entre Israël et l’Autorité palestinienne ?

Elles ont été initiées pour des raisons politiciennes, sans aucune volonté d’atteindre l’objectif d’une paix durable. Chacune des parties engagées a ses raisons d’y participer. Les États-Unis veulent redorer leur blason au Moyen-Orient après leur échec en Irak et maintenant que les Arabes semblent vouloir gérer leurs affaires chez eux. Les Américains apparaissent ainsi de plus en plus illégitimes à intervenir. Ils ont amené les Israéliens à la table de négociations mais ceux-ci n’ont aucun plan pour la paix : leur projet demeure uniquement colonial. Même en 1993, au moment de la Déclaration de principes entre Arafat et Rabin, et depuis sans interruption, ils n’ont cessé de grignoter de plus en plus de terres. Quant à l’Autorité palestinienne, elle est entièrement dépendante de l’aide financière en provenance des États-Unis et des autres pays donateurs, conditionnée à leur validation politique de son action. Mahmoud Abbas ne peut en aucun cas perdre cette validation politique, sinon il perdrait immédiatement les financements américains et la tolérance de son existence par Israël. Ces négociations sont donc pour lui et son parti un acte stratégique pour continuer d’exister. Quant aux Israéliens, ils veulent avant tout gagner du temps, pendant lequel ils peuvent poursuivre leur projet de colonisation totale.

Croyez-vous davantage à une solution avec deux États, ou à celle d’un État binational ?

Je crois que le fait de se poser la question a fait beaucoup de mal aux Palestiniens. Car ainsi nous ne dénonçons plus l’inégalité et les violations de nos droits fondamentaux. D’un côté, les Palestiniens vivant en Israël sont traités comme des citoyens de seconde ou troisième zone ; de l’autre, si on accordait la solution des deux États à ceux qui vivent en Cisjordanie et à Gaza – ce qui n’arrivera jamais, à mon avis –, alors ceux de la diaspora perdraient toute connexion avec leur terre et tout espoir de retrouver leurs droits. Je crois donc que nous aurions dû refuser de discuter dans le cadre voulu par Henry Kissinger, celui d’une solution à terme, d’une formule magique, en pensant que tout le reste suivrait. Il faudrait au contraire emprunter une voie semblable à celle du mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud, qui n’a pas défini à l’avance de solution parfaite pour ensuite en discuter durant plus de vingt ans, mais a au contraire exigé l’égalité des droits et la liberté. Une fois ces revendications satisfaites, la solution était là, s’imposait à tout le monde ! Or, nous, les Palestiniens, nous parlons politique ou géopolitique, avant d’aborder toutes ces questions. Nous nous sommes ainsi privés d’une immense opportunité. Parlons d’abord en termes de droits, et non d’une formule magique ! Quant à savoir ce qui est possible ou non, je ne veux pas désigner telle ou telle voie souhaitable, car il n’y aura jamais aucune solution possible tant que nous n’aurons pas trouvé le moyen de coexister. Aujourd’hui, la grande majorité des Israéliens sont nés après 1948 ; la situation est telle qu’elle est. Aussi, une solution fondée sur la disparition des uns ou des autres n’est pas une solution.

Dans le discours officiel israélien, il y aurait un obstacle à une négociation avec le Hamas au pouvoir à Gaza, c’est la phrase de sa charte qui se prononce pour la destruction d’Israël. Ne pensez-vous pas que, dans les faits, le Hamas a depuis longtemps renoncé à cette exigence ?

Je crois en effet que ce n’est plus vraiment un objectif du Hamas. Mon dernier livre retrace pour une part la naissance et l’histoire du Hamas [^2]. Il faut regarder le contexte et la dynamique politiques dans lesquels cette charte a été rédigée en 1987 à la naissance du Hamas. C’est alors la première Intifada : les gens sont extrêmement en colère et se sentent impuissants. Évidemment, dans une telle situation, ils se tournent vers les organisations qui ont le discours le plus radical et semblent traduire leurs aspirations. Depuis, les responsables du Hamas ont mûri politiquement, mais il leur est impossible de reculer et d’effacer certaines formulations qui ont été à l’origine de leur existence. En outre, ils ne peuvent pas ignorer l’évolution qui a été celle du Fatah de Yasser Arafat, cédant dès la fin des années 1970, et surtout au cours des années 1980, aux exigences des États-Unis pour devenir un interlocuteur « respectable ». Or, à chaque renoncement d’Arafat, on lui en demande un autre – sans qu’Israël accepte de faire la même chose. Et Arafat s’est retrouvé encerclé, isolé, jusqu’à finir dans un bureau en sous-sol avec des soldats israéliens déployés autour du siège de la présidence à Ramallah ! C’est pourquoi le Hamas ne peut pas publiquement suivre la même voie.

Pour autant, le Hamas bénéficie-t-il encore d’un grand soutien ?

C’est difficile à dire. Il est certain qu’à un moment le Hamas a été très populaire, notamment quand il a remporté les élections en 2006. Il continue à être populaire aujourd’hui. Beaucoup de gens voyaient le Hamas comme moins corrompu et votaient pour lui en réaction au Fatah et à sa politique de négociation avec Israël. Mais, à partir de là, il est apparu comme ayant joué un jeu politique dangereux, impliquant notamment le Qatar et d’autres pays arabes qui s’opposent à l’élan du Printemps arabe. Depuis, le peuple palestinien nourrit une vraie désillusion à son égard. Nous en sommes donc arrivés à cette situation où le Fatah est déconsidéré mais continue de recevoir (et de distribuer d’une manière ou d’une autre) des fonds, alors que le Hamas, même s’il conserve une certaine crédibilité, voit celle-ci diminuer alors qu’il n’a pas les ressources pour satisfaire les besoins du peuple. Du coup, les deux partis, Fatah et Hamas, perdent leurs soutiens au sein de la rue palestinienne, même si aucune alternative claire ne semble émerger.

[^2]: Histoire de la deuxième Intifada palestinienne. Chronique d’un soulèvement populaire , photos de Joss Dray, traduit de l’anglais par Claude Zurbach, Scribest, 2012.

Idées
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