Saint-Denis, banlieue-monde

Si la ville concentre les difficultés sociales, elle possède aussi des ressources en termes d’activité et de solidarité.

Lena Bjurström  • 5 décembre 2013 abonné·es

Au marché du centre-ville de Saint-Denis, on trouve du miel bio comme des bracelets en plastique à trente centimes. Le matin, halle couverte et stands extérieurs voient défiler les populations entre les étals d’épices et les bouchers, brassage multicolore et international dont la mairie s’enorgueillit. Mais cette ville-monde, pour certains, est une banlieue sombre pour d’autres. Trafics, misère, marchands de sommeil : la réputation de Saint-Denis n’est plus à faire tant elle concentre les clichés de la banlieue dans l’imaginaire populaire.

Josette, dionysienne depuis toujours, envisage de s’en aller. « Tous les Gaulois comme moi cherchent à partir. La ville est sale, les écoles se sont détériorées. Saint-Denis n’est plus la ville populaire qu’elle était quand j’étais petite, c’est devenu une ville qui accueille beaucoup trop de misère. » La ville d’autrefois que Josette regrette, c’est Saint-Denis « la rouge », banlieue industrielle, communiste depuis les années 1920. Depuis, la réalité a changé. De bastions ouvriers, les banlieues sont devenues d’apparentes zones de misère et d’exclusion. Avec un taux de chômage à 22 % et près de 58 % de foyers non imposables, Saint-Denis ne fait pas exception. La commune la plus jeune de France, avec un taux de natalité de 20,9 % entre 1999 et 2009 (contre environ 13 % en France métropolitaine), a pourtant des ressources. Les usines sont parties depuis longtemps mais, au cours des dernières décennies, la friche industrielle de La Plaine a été réinvestie par l’agglomération, qui en a fait le troisième pôle d’affaires francilien. De l’assureur Generali à SFR, environ 1 700 entreprises sont venues s’y installer, attirées par des bureaux moins chers qu’à Paris, mais proches de la capitale. Selon l’Institut national de la statistique (Insee), la ville de Saint-Denis représente un bassin de 70 000 emplois, mais ceux-ci ne profitent pas nécessairement aux Dionysiens. Trente mille employés n’habitent pas dans le coin, et traverser Saint-Denis ne les réjouit pas. Première au « palmarès des villes les plus violentes de France » établi par le Figaro en 2008, la commune pâtit d’une mauvaise réputation, qui alimente le racisme ambiant. Dans un département où 57 % des jeunes de moins de 18 ans sont d’origine étrangère, Saint-Denis voit se côtoyer de multiples générations d’immigrés. Certains arrivés comme ouvriers à l’époque de la banlieue industrielle, d’autres venus plus récemment, dans une ville où la mairie leur réserve un meilleur accueil que dans bien d’autres communes. Outre le développement de consultations juridiques, Saint-Denis s’est à plusieurs reprises affiché comme solidaire des sans-papiers, comme en 2006, lorsque les élus avaient symboliquement placé sous leur protection quatre-vingts sans-papiers, juste avant l’examen de la loi Sarkozy sur « l’immigration choisie ». Et certains habitants grincent des dents. « L’esprit de solidarité est de plus en plus taillé en pièces par le racisme, y compris entre anciens et nouveaux immigrés », regrette un responsable associatif.

Audrey, femme au foyer, s’énerve contre les sans-papiers : « Moi, je suis française ! Mon mari, algérien, a été naturalisé depuis des années. On est là depuis dix ans et on n’a droit à rien. Des années qu’on vit dans un 23 m2, qu’on demande un nouveau logement et qu’on nous répond qu’on n’est pas prioritaires ! » Et de blâmer les derniers arrivés, qui ne devraient pas, à ses yeux, avoir les mêmes droits qu’eux. La réalité, c’est surtout que, malgré ses 18 000 logements sociaux et de nouvelles constructions tous les ans, la ville peine à répondre à l’afflux des demandes. Pour autant, la ville la plus jeune de France ne saurait se réduire à ces tensions. C’est même un peu fort de café pour Sabrina, qui habite ici depuis 1984. En trente ans, la ville a changé : « Il y a beaucoup plus de commerçants, c’est vivant. Il y a plein de fêtes, d’activités, et le tramway permet de mieux circuler entre les quartiers. » Avec plus de 300 associations, Saint-Denis a tissé un réseau d’initiatives et de solidarité que sa réputation fait trop souvent oublier. Cantines solidaires, forums contre les discriminations, expositions, centres sportifs et espaces de création, ces initiatives collectives seraient profondément ancrées dans les quartiers. « La ville bouge et les gens se rencontrent beaucoup », insiste Sabrina. Lors de la dernière grande fête de la ville, le pique-nique concert de rentrée, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se sont déplacées.

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