Et maintenant, la « marque France »

On a envie de dire comme Galilée après son pieux mensonge devant le Saint-Office : « Et pourtant, il n’y aura pas de contrepartie ! »

Denis Sieffert  • 20 février 2014 abonné·es

Après les hugs avec les patrons français exilés dans la Silicon Valley, le dîner aux côtés des géants américains du Net, c’était donc lundi la « journée de l’attractivité », en compagnie d’une trentaine de dirigeants de multinationales conviés à l’Élysée. Il s’agissait, comme l’a dit efficacement Jean-Marc Ayrault, de promouvoir « la marque France ». À elle seule, l’expression donne la mesure du basculement culturel – culturel plus encore que politique – dans lequel François Hollande engage notre pays. Pour l’heure, sa stratégie a l’apparence d’une vaste opération de séduction en direction du patronat, avec le secret espoir que celui-ci ne se montrera pas trop ingrat. Le renvoi d’ascenseur conditionne en effet le sort du fameux et fumeux « pacte de responsabilité ».

Mais le doute est permis, car, si les avantages accordés aux patrons sont bien concrets, les retours sont loin d’être garantis. À cet égard, la gaffe commise par Pierre Gattaz aux États-Unis est révélatrice. On se souvient que le président du Medef avait mis dans l’embarras François Hollande en déclarant, au cours de leur périple américain, que les allégements de charges ne pouvaient s’accompagner de « contraintes » pour les patrons. Deux jours plus tard, on avait parlé de « revirement ». C’est du moins ce que nous avions compris – nous qui n’étions pas du voyage – en lisant les comptes rendus de nos confrères sur place. Mais, à y regarder de plus près, l’interprétation est moins évidente. La formule utilisée devant une poignée de journalistes, qui n’ont pas vu malice à cela, est en effet assez byzantine pour plaire à la fois à François Hollande et aux patrons, lesquels ne veulent pas entendre parler de « contreparties ». En fait, Pierre Gattaz s’est simplement résigné à ne pas « exclure » des « engagements chiffrés » – ce sont ses mots. Et, comme si la formule n’était pas assez restrictive, il s’est empressé d’ajouter que ce seraient « des objectifs à partager sur la base d’estimations » de créations d’emplois.

Le président du Medef veut bien apporter son aimable contribution à la communication élyséenne, mais sans aller jusqu’à contrarier ses mandants. Les vrais-faux engagements du Medef ont d’ailleurs peu d’importance puisque, de toute façon, ce n’est pas l’organisation patronale qui embauche. Quant aux chefs d’entreprise, ils agissent en fonction du marché et des intérêts de leurs actionnaires. On peut donc raconter ce qu’on veut et déployer des trésors de communication, ça ne changera rien à cette évidence. On a envie de dire comme Galilée après son pieux mensonge devant le Saint-Office : « Et pourtant, elle tourne ! » Et pourtant, il n’y aura pas de contrepartie ! Mais il faut au moins que le déni de réalité tienne jusqu’aux municipales et aux européennes. D’où le calendrier très serré présenté par Jean-Marc Ayrault. Une rencontre entre patronat et syndicats le 28 février, et l’affaire serait bouclée fin mars. Puis le Parlement serait saisi d’un projet de pacte. Autant dire que l’incrédulité dans l’opinion est totale, tant à propos du contenu qu’en ce qui concerne le calendrier. Une incrédulité plus grande encore parmi les électeurs de gauche. L’irrépressible chute du président de la République dans les sondages témoigne du désarroi de tous ceux qui avaient accordé leur confiance à François Hollande en 2012. En théorie, jamais la question d’une recomposition à gauche ne s’est posée avec autant d’acuité et d’actualité que ces temps-ci. Mais la politique, on le sait, répond à des logiques qui lui sont propres et qui n’ont pas toujours à voir avec les nécessités profondes d’une époque. Il faudrait par exemple que la direction du PCF et le PG mettent un terme à leur brouille ; que les Verts cessent de dire « retenez-nous ou on fait un malheur » ; que la gauche du Parti socialiste ne répugne plus à entamer un dialogue avec le Front de gauche ; que le NPA sorte de son ghetto. Ce qui fait beaucoup de conditions. Cela fait aussi, pour certains, beaucoup de remises en cause personnelles, de risques individuels à prendre. Car, pour l’instant, c’est encore le Parti socialiste qui détient le pouvoir de faire et de défaire pas mal de carrières. Du côté du PC et du PG, les choses devraient s’arranger si l’on en croit les engagements clairs pris par Pierre Laurent de revenir à la stratégie du Front de gauche pour les européennes. Et l’appel de Jean-Luc Mélenchon à la gauche du PS, aux Verts et au NPA va dans le bon sens, si toutefois il s’agit d’une véritable orientation et non d’un avatar de sa querelle avec la direction du PC.

Mais, pour tout le monde, le défi va bien au-delà. Car il ne suffit pas de dire non à la politique libérale menée par le gouvernement, il faut refonder un corps de doctrine à la fois audacieux et réaliste, dire ce qui serait possible et ce qui ne le serait pas dans le contexte international actuel… Ce point d’équilibre peut être trouvé. La preuve en Grèce. Dans ce pays sinistré par la politique d’austérité, le Syriza d’Alexis Tsipras caracole en tête des sondages. Certes, la crise en France est moins cruelle. Et le PS n’est pas encore tout à fait le Pasok. Mais MM. Hollande et Ayrault sont sur la bonne voie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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