Inspection du travail : La réforme coûte que coûte

Le gouvernement mène à marche forcée une refonte des services de contrôle des entreprises. Les syndicats craignent une perte d’autonomie et d’indépendance.

Thierry Brun  • 13 février 2014 abonné·es

Le gouvernement a donné pour consigne d’aller vite dans l’adoption du projet de loi sur la formation professionnelle, en raison sans doute du cavalier législatif qu’elle contient, une réforme en profondeur de l’inspection du travail. Cette réforme, examinée en procédure accélérée, « arrive comme un cheveu sur la soupe dans ce texte » et « nous prive, sur un sujet de cette importance, d’un travail d’élaboration et d’une discussion sérieuse », a déclaré la députée Front de gauche Jacqueline Fraysse lors de son intervention à l’Assemblée nationale, avant l’adoption du projet de loi dans la nuit du 7 février. « Quelles sont donc les raisons qui expliquent ce calendrier expéditif ?, interroge André Chassaigne, député du Front de gauche. Ne serait-ce pas surtout cet article 20, dont l’objet est la “réforme Sapin” de l’inspection du travail, véritable charge de cavalerie législative sans lien avec le reste du projet de loi ? » *« Le gouvernement veut passer en force avant le 28 février et achever le plus rapidement possible une réforme qui n’est acceptée par personne »,* tranche Yves Sinigaglia, secrétaire de SUD Travail-Affaires sociales, un des quatre syndicats (CGT, FO, SUD et Snutefe-FSU) lancés depuis plusieurs semaines dans un mouvement national contre cette réforme et demandant son retrait. Le projet de loi sur la formation professionnelle, qui contient trois articles (20 à 22), a été rejeté par l’ensemble des syndicats lors de son examen en comité technique ministériel le 28 octobre 2013, notamment parce que sa réforme de l’inspection du travail met en danger « un service public essentiel pour protéger les salariés des abus des employeurs », selon la CGT. De son côté, le ministre du Travail, Michel Sapin, assure que cette réforme doit « renforcer » l’inspection du travail, « pour la rendre pleinement efficace face aux enjeux actuels du monde du travail ». Ses inspecteurs pourront désormais ordonner des arrêts de travaux au-delà du BTP et infliger des amendes aux entreprises, alors que seule la voie pénale était jusqu’ici possible. Mais « l’introduction de la transaction pénale et les sanctions administratives relèveront de la Direccte  [Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, NDLR], qui sera très sensible aux sirènes patronales, surtout quand il s’agira d’entreprises importantes », répondent la CGT, le Snutefe-FSU et SUD Travail.

« Plus de 200 postes sur 2 236 seront ponctionnés sur les effectifs de contrôle pour créer les postes de responsables d’unité de contrôle et les sections spécialisées », explique Yves Sinigaglia. Ces unités de contrôle surveilleront et piloteront l’activité des agents « en fonction des directives et des priorités décidées au plan national ou régional », souligne le Syndicat de la magistrature. Et un « groupe de contrôle d’appui et de veille » sera compétent pour toutes les situations impliquant « une expertise particulière, un accompagnement des services, un contrôle spécifique ou une coordination des contrôles », indique l’article 20. Ces nouveaux pouvoirs confiés aux directions régionales du travail portent atteinte à l’autonomie et à l’indépendance des inspecteurs du travail, relèvent les syndicats. « C’est l’un des enjeux principaux de la réforme, pointe-t-on à SUD. Les responsables d’unité de contrôle disposeront de l’autorité hiérarchique sur tous les agents ; ils disposeront de tous les pouvoirs de contrôle et pourront donc intervenir sur un dossier ou dans une entreprise pour se substituer à l’inspecteur du travail. » Les syndicats invoquent la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT), « qui garantit autonomie et indépendance, seules à mêmes de garantir une inspection du travail protégée des “influences extérieures indues” ». Le Syndicat de la magistrature reproche au ministère du Travail de répondre « avec célérité aux exigences du Medef pour porter, en deux ans, des atteintes sévères aux droits des salariés et à l’administration chargée du contrôle de ces droits ». De leur côté, les syndicats espèrent le rejet de cette réforme par le Sénat, qui l’examinera le 18 février.

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