Les centres sociaux s’invitent dans la campagne

Face à des difficultés grandissantes et des comptes souvent dans le rouge, les structures parisiennes de lutte contre l’exclusion ont lancé, le 3 janvier, une mobilisation pour interpeller les candidats de la capitale.

Ingrid Merckx  • 13 février 2014 abonné·es

Illustration - Les centres sociaux s’invitent dans la campagne

Des cahiers d’écolier ouverts devant eux, ils regardent alternativement le polycopié et le tableau blanc. « Nombre d’enfants à charge », y est-il écrit en rouge. Et puis en bleu : nom, date de naissance, lieu de naissance, nationalité… « La nationalité, c’est le pays que vous portez en vous, résume Ewa. Le pays, c’est le territoire où vous êtes nés. Dans le document que je vous lis, où est née la personne ? Je relis… Vous êtes prêts à chasser les nouvelles infos ? »

Petite blonde dynamique de 31 ans, Ewa efface sur le tableau trop petit les informations à mesure qu’elle les inscrit. Plusieurs fois par semaine, cette bénévole d’origine polonaise anime un atelier socio-linguistique (ASL) – leçon de français appliqué – au centre social Soleil Blaise, dans le XXe, à Paris. Ce matin-là, elle travaille à partir d’un dialogue entre un Mexicain et un agent de mairie. Elle pose : 2014-1973 = 41 ans. « On a perdu du temps quand on était jeunes, on se rattrape maintenant qu’on est vieux ! », lance une dame. « On n’est pas tous vieux ! », proteste une trentenaire en souriant de l’autre côté de la table ovale. Ils sont sept femmes et un homme, d’origines tunisienne et malienne entre autres. Certains ont déjà rempli le document. D’autres épellent les mots à voix basse en louchant sur la copie du voisin…

Ce n’est pas un hasard si nombre de centres sociaux sont signataires de l’appel « Non à la disparition des associations ». La plupart sont menacés par les coupes qui frappent le secteur associatif. « La subvention est le seul mode de financement adapté, défend Gérard Masserat, vice-président de l’Accueil Goutte d’Or à Paris. Les appels d’offres entérinent une véritable marchandisation du social ! » Nés, fin XIXe, des « œuvres sociales », les centres sociaux ont pour principes : proximité et pouvoir d’agir des habitants. Dans un document, « Un Paris pour tous, un pari incertain », qui circule avec une pétition, ils réclament des financements socles évalués à 60 000 euros par centre à Paris, qui compte 27 de ces associations de lutte contre l’exclusion. Leur survie est particulièrement exposée, au contraire des centres lillois, qui bénéficient « d’un accord cadre entre la CAF, le conseil général et la métropole lilloise », témoigne Michel Brulin, président de la Fédération des centres sociaux de Lille. Ce qui valide reconnaissance et coopération.
Dans le couloir, Madeleine Terrasson nous fait signe de venir. La salle dans laquelle cette avocate à la retraite assure des permanences juridiques tous les mardis matin est moins chauffée que l’autre. « Ici, je vois tous les malheurs du monde », annonce-t-elle. Des recalculs de taux de retraite : « Pour la dame qui vient de sortir, on a réussi à passer de 429 euros mensuels à 759 euros. C’est un peu mieux ! » Des expulsions de logement, des violences conjugales, mais aussi énormément de gens à la rue, y compris des familles, qui attendent des papiers ou viennent demander une domiciliation. « Ils sont de plus en plus nombreux, soupire-t-elle. Ils viennent ici la journée et, le soir, ils se retranchent dans les squares ou couchent dans l’embrasure des portes cochères. » La jeune femme qui entre, thaïlandaise, la trentaine, gracile, ouvre de grands yeux fatigués. Ses deux enfants vivent chez leur père, en banlieue. Sans domicile, elle passe de la rue à chez « un ami »… « Ça me rassure quand vous me dites que vous n’avez pas dormi dehors ! », s’exclame l’avocate. La jeune femme veut savoir comment aider un ami SDF à récupérer un acte de naissance. Madeleine Terrasson lui note sur une feuille les coordonnées de La maison dans la rue, association qui s’adresse spécifiquement aux sans-abri, près de la Nation. « Mais il a beaucoup d’affaires, un chien, je ne sais pas s’il va pouvoir y aller », souffle la jeune femme en se recroquevillant derrière l’écran de l’ordinateur… « Si ! Ils ont l’habitude, garantit Madeleine Terrasson. Il faut y aller étape par étape. »

De la cuisine collective parviennent des cris d’enfants, des rires et des fumets d’oignon frit. Dans la salle de cours, l’atelier a pris fin et Ewa rassemble ses affaires pour laisser la place à Ouided Schaal, directrice du centre, et Carole Ressy, directrice du centre social 13 pour tous, dans le XIIIe. Deux trentenaires motivées par la mobilisation lancée le 3 janvier dans les 27 centres sociaux et socioculturels parisiens en gestion associative. Des banderoles sur les façades, des rendez-vous avec les candidats aux municipales et une pétition qui a déjà recueilli plus de 2 000 signatures : ces centres sociaux sont dans la panade. Avec des budgets moins financés qu’ailleurs par la CAF et le département (voir infographie), dix-huit sont en déficit. Plombés par le prix des loyers et sans fonds de roulement, ils doivent licencier à tour de bras, payer les salaires en retard et restreindre les activités en se resserrant sur celles qui devraient servir de tremplin aux autres : soutien scolaire et ASL en tête. Et même : Soleil Blaise a dû orienter ailleurs deux cents demandes d’ASL. Alors que la maîtrise du français est le facteur n° 1 d’intégration, et les ASL ce qui fonctionne le mieux, avec le café des parents et les programmes culturels. « Les élus ne savent pas ce qu’on fait, et le fonctionnement va à l’inverse de nos principes, expose Carole Messy. Alors que les projets doivent venir des habitants, on en est à leur faire des propositions dont on est sûrs du financement. On ne fait plus du travail social mais de la compta. » Un numéro vert au lieu d’un accompagnement individualisé pour des violences faites aux femmes. Des programmes contre l’illettrisme, car c’est une cause nationale, plutôt que des ASL supplémentaires – l’analphabétisme concernant plutôt les migrants. La prévention jeunesse, parce qu’elle relève du cahier des charges, mais avec un poste jeunesse à peine par centre. Et pas assez de salariés pour aller vers les habitants, notamment sans abri, comme c’est le cas pour Soleil Blaise, qui observe le développement de bidonvilles le long du périphérique. « Dans les programmes des municipales, les centres sociaux sont cités dans le volet “sécurité”, mais qu’y a-t-il dans le volet social ?, interroge Ouided Schaal. Anne Hidalgo a lancé un projet de “Social Club”, mais il ne mentionne pas les centres sociaux. Un élu UMP venu visiter nos locaux a trouvé qu’on avait un “bon train de vie”. En partant, il m’a lancé “Ça va aller, inch Allah !”, grimace-t-elle. À cause de mes cheveux, peut-être… »

Temps de lecture : 5 minutes