Notre-Dame-des-Landes, le boulet de Vinci

Alors que les travaux ont été autorisés, les opposants organisent une mobilisation nationale le 22 février contre le projet piloté par Vinci.

Patrick Piro  • 20 février 2014 abonné·es

Sur le site du futur aéroport du Grand Ouest, au sigle de Vinci Airport, la chronologie annonce « l’installation du chantier » de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pour début mars [^2]. Fin décembre 2013, la préfecture des Pays-de-la-Loire signait les arrêtés autorisant les travaux. Sur le terrain, à 17 kilomètres au nord de Nantes, les opposants ne voient pourtant aucun indice de démarrage. « Nous sommes même persuadés qu’il ne se passera rien avant les municipales, ce serait politiquement suicidaire », estime Françoise Verchère, conseillère générale de Loire-Atlantique. Habitants de la « Zone à défendre », agriculteurs, élus, associations…, les anti-aéroport s’attendent en effet à devoir repousser des pelleteuses au printemps, voire après les élections européennes. Ils ont cependant décidé de sonner le rassemblement des troupes dès samedi 22 février à Nantes, pour une manifestation nationale où sont attendues 20 000 personnes et plus de 250 tracteurs. « Nous voulons montrer que nous restons en vigilance orange », indique Dominique Fresneau, coprésident de l’association citoyenne Acipa.

Eux aussi ont leur « Notre-Dame-des-Landes », leur projet imposé et destructeur. Depuis des années, des écologistes russes protestent contre une future autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg, la deuxième ville du pays, qui doit traverser la forêt de Khimki, dernier poumon vert au nord de la capitale. Piloté par Vinci Concessions Russie, filiale de la multinationale, en partenariat public-privé avec les autorités russes, ce projet pourrait nécessiter l’abattage de plus d’une centaine d’hectares de forêt. Malgré les nombreuses pétitions et manifestations, le projet n’a jamais été remis en question. À peine a-t-il été gelé pour quelques mois en 2010, après une forte vague de protestations.

De leur côté, les opposants ont subi de multiples intimidations, agressions physiques, arrestations par les autorités et un harcèlement de la part de nervis masqués. De lutte écologiste, le combat est devenu politique, contre l’arbitraire du pouvoir et sa corruption.

À la suite d’une plainte de plusieurs ONG contre la filiale Vinci Concessions Russie et contre X, le procureur de la République de Paris a ouvert, en septembre dernier, une enquête sur de possibles infractions financières et une corruption d’agents publics.

Les troupes n’ont, semble-t-il, rien perdu de leur motivation depuis la confrontation violente déclenchée à l’automne dernier par les opérations d’expulsion et d’occupation menées pendant plusieurs semaines par les forces de l’ordre. Le 18 janvier, la réunion des comités locaux de soutien à la lutte de Notre-Dame-des-Landes a rassemblé deux cents représentants venus de toute la France – deux fois plus qu’attendu. Les activités agricoles ont repris de plus belle sur l’aire convoitée par le projet d’aéroport. La bataille juridique n’est pas non plus arrivée à son terme. « Nous continuons d’attaquer sur la forme et sur le fond : l’enquête d’utilité publique est tout simplement minable ! », affirme Dominique Fresneau. La justice vient cependant de débouter en appel la quinzaine d’occupants du site (fermiers, propriétaires, locataires) qui refusent toujours l’expropriation. C’est une étape importante, car le Parti socialiste s’était engagé en 2012, avant la présidentielle, à laisser tous les recours de cette nature parvenir à leur terme. Les opposants ne devraient pas se priver d’aller en cassation. Le tribunal administratif a également été saisi pour annuler les arrêtés de décembre dernier, qui décrètent la conformité du projet au regard des lois sur l’eau et des espèces protégées. L’ensemble des associations en lutte (citoyens, élus, exploitants, environnementalistes) s’est associé à la démarche, et il est question qu’Europe écologie-Les Verts s’y joigne. « Il y a des lacunes importantes sur le plan environnemental, commente Julien Durand, porte-parole de l’Acipa. L’état des lieux écologique est incomplet, les mesures de compensation des impacts dérogent aux lois de l’Union européenne et du Grenelle de l’environnement, ainsi qu’à l’avis du comité scientifique qui a été chargé de se prononcer. Et Vinci ne dit toujours pas comment il compte procéder pour les appliquer. »

Pour enfoncer le clou, les opposants ont déposé auprès du tribunal la signature de 75 exploitants regroupant 8 000 hectares autour du site, qui déclarent refuser de contribuer aux opérations de restauration des zones humides menacées de destruction. « Perdre sur le dossier de la compensation aurait des conséquences nationales, s’alarme Françoise Verchère. La protection de l’environnement, sur les grands projets, en prendrait un coup. » Car l’élue se dit de plus en plus convaincue que les arguments de fond, aussi forts soient-ils, n’emporteront pas l’affaire. « Il y a un tel verrouillage institutionnel que notre seule solution est d’accroître le rapport de force en notre faveur. C’est l’enjeu de la manifestation de samedi. » Faire lâcher les politiques, et surtout le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, porte-étendard du projet : à Notre-Dame-des-Landes, on n’est pas loin d’imaginer le groupe Vinci soulagé s’il se trouvait délesté d’un projet devenu boulet, et qui entache son image dans l’opinion. Les opposants ont prévu d’interpeller toutes les listes en piste pour les municipales de mars par un questionnaire leur demandant de prendre une position claire sur le dossier.

[^2]: La société Aéroports du Grand Ouest (AGO), concessionnaire, est détenue à 85 % par le groupe Vinci, associé à la chambre de commerce et d’industrie de Nantes Saint-Nazaire et à l’Entreprise de travaux publics de l’Ouest.

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