« The Grand Budapest Hotel », de Wes Anderson : Un monde d’hier ?

Dans The Grand Budapest Hotel , la fantaisie de Wes Anderson masque une certaine inquiétude.

Christophe Kantcheff  • 27 février 2014 abonné·es

L’affiche de The Grand Budapest Hotel pouvait engendrer l’inquiétude. Une noria de vedettes – Ralph Fiennes, Jude Law, Tilda Swinton, Adrien Brody, Willem Dafoe, Jeff Goldblum, Jason Schwartzman, Mathieu Amalric, Harvey Keitel, Bill Muray, n’en jetez plus… – peut augurer un film aux allures de générique, une suite de sketches pour prestation de stars. Pas chez Wes Anderson. Son univers est suffisamment riche et singulier pour que ce (beau) petit monde s’y fonde, même pour quelques instants d’apparition.

On rassurera donc : The Grand Budapest Hotel est de la veine de la Vie aquatique et de Moonrise Kingdom, mariant le suspense et une légèreté à la Lubitsch, laissant poindre avec discrétion les questions graves : affaire de politesse. Le « Grand Budapest Hotel » du titre se trouve dans un pays imaginaire d’Europe centrale. Il est dirigé, dans les années 1930, par Gustave H. (Ralph Fiennes), « l’homme aux clés d’or » de l’établissement. Il trouve en la personne du nouveau garçon d’étage (Tony Revolori), immigré aux papiers incertains, répondant au nom de Zéro – mais le garçon est loin d’être nul –, et dont il se charge de la formation, son plus sûr allié. Ces deux-là se retrouvent au cœur d’une histoire d’héritage, avec aux trousses une méchante famille (menée par l’inquiétant Adrien Brody) et son terrorisant homme de mains (Willem Dafoe, impayable). L’affaire se complique avec la déclaration de guerre du pays voisin, qui porte sur ses drapeaux deux « S », suivez mon regard…

Outre ses qualités pédagogiques, Gustave H. est un drôle d’oiseau. Hâbleur, dépensier, consommateur sexuel de très vieilles dames (dont une comtesse incarnée par la métamorphosée Tilda Swinton), il a le profil de l’escroc aventurier, mais seulement le profil. Il se révèle être aussi un homme moral et courageux, vis-à-vis de Zéro en particulier, quand celui-ci se trouve en mauvaise posture au cours de leurs trépidantes péripéties. Ralph Fiennes incarne à ravir ce personnage complexe et charismatique. The Grand Budapest Hotel développe aussi une richesse visuelle réjouissante, autant dans le travail sur les couleurs que dans la composition des plans. Là encore, la fantaisie du cinéaste joue à plein, mais elle n’éclipse pas l’impression de monde finissant, où la liberté et la générosité, encore de mise, n’auront bientôt plus de place (Wes Anderson dit avoir été inspiré par Stefan Zweig). « Dans la nuit de la barbarie, persistent quelques lueurs de civilisation. » La phrase revient deux fois dans le film. En signe d’espoir ?

Cinéma
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