« Des misogynes qui jouent sur l’émotion »

Se disant floués dans leur paternité, les masculinistes se montrent offensifs tant à l’égard des femmes que des institutions.

Ingrid Merckx  • 6 mars 2014 abonné·es

Les masculinistes sont le point de départ de l’enquête que mène Pierre-Guillaume Prigent, étudiant en sociologie, sur « les mécanismes de la violence des pères des enfants contre les mères après les séparations ». **

Depuis quand enquêtez-vous sur les masculinistes ?

Pierre-Guillaume Prigent : À la suite des événements de février 2013, quand Serge Charnay et Nicolas Moreno sont montés sur une grue à Nantes pour attirer l’attention sur leur situation de pères séparés de leurs enfants, je me suis posé deux questions : pourquoi le point de vue des mères est-il si peu pris en compte ? Pourquoi le passé de condamnations de ces pères est-il ainsi mis de côté ? Il m’a semblé nécessaire de construire une approche inversée et d’étudier les cas de violence de pères contre les mères de leurs enfants après une séparation en interrogeant des mères. Cette enquête débute, mais, ce qui est déjà marquant, c’est la réaction de nombreuses personnes, surtout des hommes, qui tendent à minimiser, voire à nier, les violences masculines, alors qu’elles me sont relatées en détail par de nombreuses femmes.

Le masculinisme est-il un phénomène nouveau ?

Si l’on parle de la « branche paternelle », en France, c’est seulement depuis février 2013 que l’on voit des hommes monter sur des édifices pour faire entendre leurs revendications, à la manière des masculinistes anglo-saxons. Mais des groupes de défense des droits des pères s’organisent depuis les années 1970-1980, en réaction au mouvement féministe. Des féministes comme Anne-Marie Devreux, Anne Verjus ou encore Hélène Palma analysent les propositions de ces groupes réactionnaires depuis qu’ils existent.

Comment qualifier ce mouvement ?

Il existe des divergences entre les groupes. Certains assument leur misogynie, d’autres la dissimulent. Certains préfèrent monter sur des édifices, d’autres tenir des permanences juridiques et organiser des groupes de parole. Mais tout cela participe d’un même mouvement qui cherche à défendre les intérêts des hommes et des pères. C’est leur fonds de commerce.

Quel est son impact ?

Ces groupes sont capables de faire passer des lois et de peser sur certaines institutions. Si les derniers amendements en faveur de la résidence alternée par défaut – revendication majoritaire pour ces pères – ont finalement été rejetés, il ne faut pas oublier que SOS Papa revendique la paternité de la loi de 2002, laquelle a rendu légale la résidence alternée, et, qu’à l’époque ils souhaitaient déjà l’imposer. Or, imposer une résidence alternée en cas de violences envers la mère ou les enfants, c’est contribuer à maintenir l’emprise du père.

Pourquoi se disent-ils féministes et égalitaristes ?

Pour améliorer leurs chances d’être entendus et surtout pour tenter de réduire au silence les femmes et les féministes. Ils instrumentalisent le féminisme et son projet d’égalité.

Quel est le sociotype du masculiniste ?

Les plus influents sont des hommes, blancs, hétérosexuels, âgés de plus de 40 ans et issus de milieux sociaux favorisés : un sociotype très dominant. C’est à mon avis aussi pour cela qu’ils sont entendus.

Pourquoi attirent-ils la sympathie ?

Ils jouent sur l’émotion en interpellant sur leur paternité. C’est leur manière de toucher le public. Ils se servent de ces situations pour exprimer un discours misogyne, comme Serge Charnay à Nantes. D’autres, comme Éric Verdier, se servent du suicide des hommes séparés pour mettre en avant leur revendication de résidence alternée par défaut.

Peuvent-ils être dangereux ?

Sur le site Mascuwatch, on trouve des preuves des menaces que certains d’entre eux font peser sur leur ex-conjointe. Parfois, ils publient eux-mêmes sur leurs sites ce genre de menaces. Pire encore, le CopCo, le collectif dont fait partie Nicolas Moreno, s’est rendu devant le domicile de l’ex-conjointe d’un de ses membres. C’est du harcèlement. Leur dangerosité réside évidemment aussi dans leurs propositions politiques.

Que pensez-vous des réactions à ce mouvement ?

Les réactions complaisantes m’interrogent. Je les comprends dans le sens où ce mouvement est dans l’ère du temps : défense de la société
 patriarcale, minimisation des violences envers les femmes, etc. D’autres réactions plus critiques s’organisent au sein de mouvements féministes, d’associations de mères, à travers des initiatives comme
Mascuwatch, ou encore dans divers collectifs, à Grenoble, Paris, Toulouse…

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