La dérangeante énigme Blanchot

La revue Lignes analyse les engagements de l’écrivain à l’extrême droite avant-guerre.

Olivier Doubre  • 20 mars 2014 abonné·es

Peut-on critiquer celui qu’on a encensé et admiré, qui fut et demeure l’une de nos grandes figures intellectuelles tutélaires ? C’est l’exercice dérangeant auquel se sont livrés les principaux contributeurs réguliers de la revue Lignes , haut lieu des amis de Maurice Blanchot, à propos du passé de celui-ci avant-guerre, alors virulent publiciste de l’extrême droite maurrassienne, et bientôt maréchaliste.

Certes, l’engagement nauséabond durant les années 1930 de l’auteur de l’Écriture du désastre était grosso modo connu. Pourtant, comme le souligne la présentation de cette livraison, signée du nom de la revue (mais dont on peut supposer qu’elle est de la plume de son directeur, le philosophe Michel Surya), ce « sujet délicat   » n’avait été l’objet jusqu’ici que d’un «  travail parcellaire ».

Ce n° 43 s’y attelle donc, en affirmant qu’il « revenait de faire [ce travail] à ceux qui sont généralement regardés comme ses amis ». Ce qui rend d’autant plus passionnante sa lecture.

Ce travail a certainement dû coûter à ses auteurs, de Jean-Luc Nancy à Michel Surya, évidemment, de François Bermondy à David Amar, Mathilde Girard, Martin Crowley ou David Uhrig, qui examinent cette époque où Maurice Blanchot naviguait « du “non-conformisme” au maréchalisme ».

On sait que Lignes, depuis sa création en 1987, à la fois revue et courageuse petite maison d’édition indépendante, a consacré un grand nombre d’études et d’essais à l’écrivain. C’est surtout dans ses pages, comme il est rappelé en introduction, «  au fil de plusieurs numéros, qu’ont paru, de son vivant et avec son accord, tous les textes politiques de Blanchot écrits par lui après la guerre, soit essentiellement de 1958 à 1969 ». C’est-à-dire ceux du Blanchot « communiste » (atypique car non encarté), à l’origine avec Dionys Mascolo du « Manifeste des 121 » contre la guerre d’Algérie, ou fervent admirateur de Mai 68…

Les auteurs de cette livraison ont donc entrepris de retrouver et d’analyser des chroniques ou éditoriaux, souvent violents, de cet « autre Blanchot » (Michel Surya). Et de s’interroger sur sa « conversion » après 1945, selon le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe, sans doute due – hypothèse non confirmée – au fait qu’il faillit être exécuté à la fin de la guerre par des soldats nazis. Mais aussi, plus gênant, sur ce qu’il faut bien appeler certains mensonges de l’écrivain dans les années 1970 ou 1980, quant à son adhésion au régime de Vichy en 1940, même s’il cacha par la suite, durant l’Occupation, la famille du philosophe juif Emmanuel Levinas. Le caractère complexe voire énigmatique du parcours de Blanchot, bien que non isolé, à l’instar d’un Claude Roy, d’un Daniel Cordier ou d’un François Mitterrand, rendait donc ce travail, si « déplaisant » fût-il pour les contributeurs de la revue, « pas moins indispensable ».

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