Roms : le non-dit de la campagne

Si les candidats ont évité la surenchère raciste, la politique nationale de rejet déclenche des oppositions locales très fortes.

Ingrid Merckx  • 20 mars 2014 abonné·es
Roms : le non-dit de la campagne
© (1) Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. (2) Ouvrage écrit avec Carine Fouteau, Serge Guichard et Aurélie Windels, La Fabrique, 240 p., 13 euros.

Le 4 juin 2013, le maire de Nice, Christian Estrosi, déclarait : « Les Roms, les squatteurs et les étrangers en situation irrégulière ne sont pas bienvenus sur le territoire de la ville de Nice. » Le 7 juin, des cocktails Molotov étaient lancés contre un village d’insertion occupé par des Roms à Hellemmes (59). Le 16 septembre, le maire de Croix (59) annonçait : « Les Roms n’ont rien à faire à Croix. Oui, s’il y a un dérapage, j’apporterai mon soutien. »

Des propos haineux tenus par des maires à l’encontre de personnes roms, la Ligue des droits de l’homme (LDH) en a recensé un certain nombre dans son rapport sur les évacuations forcées (voir Politis.fr). Ce qui faisait craindre une surenchère lors de la campagne pour les municipales. « Ce n’est finalement pas devenu un enjeu, tout en restant une des questions les plus sensibles ou les plus critiques à certains endroits, notamment ceux où les bidonvilles sont mal gérés », analyse Philippe Goossens, de la LDH. Dans des villes comme Hellemmes, Gardanne, Indre, qui ont parfois dû faire face à des réactions très fortes de la population, « on n’en parle plus » , constate-t-il. Mais en Seine-Saint-Denis, où se concentrent près de 50 % des Roms présents en France, il observe de véritables cristallisations (voir ci-contre).

Si les candidats qui revendiquent une politique d’expulsion sont rares, ils sont plus rares encore à défendre une politique d’intégration. « C’est plus évident chez les Verts, beaucoup moins au parti socialiste ou même au parti communiste », précise Philippe Goossens. La stratégie consistant à aborder le sujet sans l’aborder, pour ne pas faire le jeu du FN ni se mettre un électorat hostile aux Roms à dos.

Le problème, selon lui, c’est l’incohérence des pouvoirs publics. Les maires sont en première ligne devant un camp ou un bidonville, mais les décisions d’évacuation et de relogement peuvent être prises par le préfet, notamment depuis la parution de la circulaire interministérielle d’août 2012 sur l’occupation de campements illicites. Et le contrôle de l’application de cette circulaire incombe aujourd’hui à la Dihal (1). Or, bon nombre de préfets, dans les Bouches-du-Rhône par exemple, persistent à lui tourner le dos en donnant la priorité aux directives du ministère de ­l’Intérieur. Lesquelles entrent en collision avec celles défendues par la circulaire. « Si un maire s’implique dans une démarche d’insertion, explique Philippe Goossens, il se cogne fréquemment contre les structures étatiques et les communes voisines. Il y a des endroits, comme Marseille, Indre ou Bordeaux, où la situation s’est apaisée. Mais la politique nationale reste une politique de rejet. »

Illustration à Marseille, lors d’un débat organisé par la Provence le 1er octobre 2013 : « Valls l’a dit et je le répète, martèle Christophe Masse [candidat aux primaires socialistes], [les Roms] sont difficilement intégrables ». Et l’élu de poursuivre : « Ils ne peuvent pas, parce que c’est pas dans leur nature », rapporte Éric Fassin dans Roms et riverains. Une politique municipale de la race (2).

Le sociologue ajoute : « Au cours de l’été 2010, la gauche (alors dans l’opposition) dénonçait la dérive droitière du discours de Grenoble au nom de l’antiracisme. Depuis l’été 2012, la gauche (revenue au gouvernement) reprend à son compte la politique de stigmatisation des Roms, sans rencontrer de résistance sur sa droite – mais aussi sans provoquer en réaction de mobilisation importante. »

D’où la constitution d’une «  question rom » , ferment d’une nouvelle « politique de la race », et l’émergence d’une nouvelle figure politique, qui doit beaucoup à Nicolas Sarkozy, celle du « riverain » . Les riverains, ce seraient les « vrais gens » , issus de la « France d’en bas », souffrant des « vrais problèmes » liés aux bidonvilles et qui s’opposeraient aux bobos. Les uns étant anti-Roms cependant que les autres seraient pro-Roms.

Sauf que, précise Éric Fassin, en s’appuyant sur les enquêtes contenues dans ce livre, il se trouve que le « riverain en colère » n’habite pas toujours le voisinage et n’est pas toujours issu des classes populaires. En outre, les voisins des bidonvilles ou des camps roms seraient plus partagés qu’on ne le dit. « Ce sont souvent eux qui apportent de la nourriture ou des vêtements, qui aident dans les démarches administratives ou qui assument à tour de rôle le ramassage scolaire des enfants roms. Ainsi, les militants de la cause rom sont le plus souvent aujourd’hui eux-mêmes des riverains. »