Nadia, smicarde et condamnée à le rester

Octobre 2015. La politique de Hollande et de Valls s’applique depuis neuf mois et commence à produire ses effets. Fiction.

Thierry Brun  • 17 avril 2014 abonné·es

Le DRH l’a dit sèchement à Nadia, diplômée et smicarde dans le groupe coté en Bourse qui l’emploie : « Pas question d’augmenter les salaires, ce n’est pas le moment ! » Comme dans nombre d’entreprises, le « zéro charge » pour l’employeur d’un salarié payé au Smic, mis en place au 1er janvier 2015 par le gouvernement de Manuel Valls, n’a pas eu l’effet escompté. Pourtant, Carlos, le PDG de Nadia, ne paie plus aucune cotisation sociale pour financer la santé, la retraite, le chômage et la famille, soit 188 euros, sur les Smic de son entreprise. Cette mesure concerne 1,9 million de personnes touchant 1 445 euros brut mensuel (1 128 net). Le gain de trésorerie pour les employeurs est estimé à 4,5 milliards d’euros. Carlos se frotte les mains. D’autant plus que le montant des cotisations sociales employeur baisse pour les salaires jusqu’à 2 300 euros brut. Et pour les salaires jusqu’à 5 000 euros brut, c’est-à-dire pour plus de 90   % des salariés, les cotisations famille à la charge des employeurs seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016, pour un montant total de 4,5 milliards d’euros. Sans aucune contrepartie…

Quant à Carlos, il a augmenté sa propre rémunération de plus de 20 % l’année dernière, pour atteindre 3,45 millions d’euros par an, l’équivalent de 200 années de Smic. Il figure parmi les 120 patrons des plus grandes sociétés cotées en Bourse dont le salaire a augmenté. Son groupe a dégagé des profits, dont une grande partie a été reversée aux actionnaires, comme dans la plupart des entreprises, cotées ou non. Elles donnent en effet la priorité au versement de dividendes et rachètent régulièrement leurs propres actions pour les faire grimper. En 2013, les sociétés du CAC 40 ont ainsi versé 43 milliards d’euros de dividendes. La CGT, le syndicat de Nadia, pointe l’effet d’aubaine créé par les aides de l’État et des collectivités aux entreprises, dont le crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE) de 20 milliards d’euros, mis en place en 2013, et les 30 milliards du pacte de responsabilité. L’ensemble dépasse les 200 milliards d’euros par an.

Nadia a cependant cru tirer son épingle du jeu. Depuis le 1er janvier 2015, les cotisations sociales prélevées sur son Smic ont diminué. Cela représente environ 42 euros net par mois (500 euros par an) de gain supplémentaire. C’est bon à prendre, mais cela a des conséquences dont le gouvernement s’est bien gardé de faire la publicité. « Le transfert d’une partie des cotisations sociales vers la fiscalité au prétexte d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés modestes est un leurre. C’est une baisse supplémentaire de la rémunération du travail », a encore relevé son syndicat. Ce gain sera vite englouti par la hausse de diverses taxes et le recul de la couverture de soins, du chômage, de l’aide au logement et des prestations familiales. Et la prime pour l’emploi dont bénéficie Nadia sera rabotée, voire supprimée. Il vaudra mieux pour la smicarde de ne pas tomber malade, car le plan massif d’économies et de réductions des cotisations sociales, soit 21 milliards d’euros selon les prévisions de Manuel Valls, se traduira par une nouvelle baisse des remboursements des soins et des frais de santé. Les années précédentes, les reste-à-charge ont déjà été importants pour les ménages modestes : plus de 250 euros en 2010 pour 50 % des assurés. À ce creusement des inégalités d’accès aux soins s’ajoute le passage progressif du système public de la Sécu vers un système privé, incitant les assurés à prendre une mutuelle renforcée ou une assurance hors de prix.

Les salariés qui touchent un peu plus que le Smic, comme Brigitte (1 800 euros brut mensuel), sont aussi concernés par la diminution des cotisations sociales. Le gouvernement a annoncé un allégement de la fiscalité des ménages modestes, qui sont entrés dans le champ de l’impôt sur le revenu ces dernières années, alors même que leur situation ne s’est pas améliorée. Aussi Brigitte espère-t-elle que son petit impôt sur le revenu (45 euros annuels) disparaîtra. Car elle se trouve dans la catégorie des 50 % de Français les plus modestes qui ont perdu de 25 à 33 euros par mois entre 2008 et 2011, selon l’Insee. Jérôme, un copain de Nadia, agent du secteur hospitalier, n’a pas plus de chance qu’elle. Comme pour 5,5 millions de fonctionnaires, son salaire de 2 000 euros net mensuel, qui se situe dans la moyenne de la fonction publique, restera gelé jusqu’en 2016 en raison des économies annoncées par Manuel Valls. Une baisse des dépenses publiques d’environ vingt milliards d’euros est programmée d’ici à 2017. Une super-austérité qui réduira le nombre de services publics, autre facteur d’accroissement des inégalités entre les citoyens, qui n’auront plus accès aux mêmes services selon que leur bourse est pleine ou dégarnie. En 2013, les 500 premières fortunes de France ont vu leur richesse globale augmenter de près d’un quart en un an, relevait l’hebdomadaire Challenges. Ces indications sont éclairantes sur les effets cyniques des politiques d’austérité. Nul doute que, dans la France de Manuel Valls, qui ne projette rien d’autre que de les renforcer, les plus riches continueront de s’enrichir tandis que les plus modestes s’appauvriront plus encore.

Publié dans le dossier
La France rêvée de Manuel Valls
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