Un si proche « conflit lointain »

Pour Pascal Boniface, le non-règlement de la question palestinienne mine la société française.

Denis Sieffert  • 3 avril 2014 abonné·es

En 2003, Pascal Boniface avait publié un livre au titre en forme d’interrogation : Est-il permis de critiquer Israël ? C’est peu dire que l’ouvrage avait fait débat. Or, voilà que Boniface persiste et signe dans un nouvel ouvrage, la France malade du conflit israélo-palestinien. C’est que non seulement les crispations communautaires n’ont pas cessé depuis onze ans, mais elles se sont enkystées. Et le directeur de l’Iris démontre une nouvelle fois que c’est bien « le » conflit qui constitue la toile de fond de cette fracture ravageuse qui produit de l’antisémitisme et, surtout, de l’islamophobie. Le lien de cause à effet n’est guère discutable. Un dirigeant de la Licra, cité par Boniface, en convient quand il dénonce un « droit de haïr » qui serait reconnu « au nom d’un conflit lointain et complexe, aux réalités mal perçues » .

Lointain ? Pas si sûr pour des populations françaises qui le vivent intimement. À commencer par ce responsable de la Licra lui-même, et quelques autres qui défendent sans nuance le gouvernement israélien et souvent, comme le note Boniface, « au détriment de la lutte contre l’antisémitisme ». Car lorsqu’un président du Crif critique l’accueil fait par la France de Jacques Chirac à Arafat mourant, et lorsque le même s’en prend à des partis politiques coupables à ses yeux d’avoir manifesté contre les bombardements israéliens sur Gaza, est-il bien dans son rôle ? Il n’est plus question alors de « conflit lointain », mais d’un véritable travail d’ambassade. Comme, plus tard, les appels à la diplomatie française pour qu’elle durcisse sa position à l’égard de l’Iran. L’effet est connu : c’est une identification des institutions juives officielles à la politique israélienne. Une identification qui est d’abord l’œuvre des dirigeants du Crif eux-mêmes et de plusieurs intellectuels ou journalistes organiques, avant de produire un choc en retour. Il est loin le temps où un ambassadeur d’Israël se souvenait qu’au jour de son arrivée les plus hautes autorités du judaïsme français lui « avaient fait comprendre qu’elles ne souhaitaient pas se laisser entraîner à trop d’intimité avec Israël ». C’était en 1953…

Le livre de Boniface risque de lui valoir autant d’attaques que le précédent. La première flèche est venue du journaliste Frédéric Haziza, qui, sur le site du Crif, a accusé l’auteur « d’antisémitisme pernicieux » parce qu’il avait osé affirmer que l’assassinat du jeune Ilan Halimi en 2008 par le « gang des barbares » n’avait pas seulement une « dimension antisémite ». À l’appui de cette affirmation, Boniface cite pourtant plusieurs exemples de faits divers comparables dont les victimes n’étaient pas juives. Haziza aurait voulu valider la thèse du livre et montrer le poids des interdits qui pèsent sur ce sujet qu’il ne s’y serait pas pris autrement [^2].

[^2]: En soutien à Pascal Boniface, voir sur plusieurs sites la pétition « Stop à la chasse aux sorcières ».

Idées
Temps de lecture : 3 minutes