Nos raisons d’espérer

Nous avons eu affaire dimanche à un vote de classe. Dévoyé certes, mais néanmoins socialement connoté.

Denis Sieffert  • 28 mai 2014 abonné·es
Nos raisons d’espérer
© **Notre soirée Politis** Chers lecteurs, nous espérons que vous serez des nôtres, jeudi 5 juin à partir de 19 h, à La Bellevilloise. Nous nous réunirons avec de nombreux amis autour du symbole rassembleur de Jaurès. Spectacle et buffet dînatoire. Une bonne occasion de poursuivre notre discussion sur les perspectives évoquées plus haut. Inscrivez-vous (voir p. 29) !

C’est bien connu, l’outrance des mots trahit souvent l’impuissance. Nous en avons eu dimanche soir encore une probante illustration. « Séisme », « tsunami », « big bang », les politiques, les journalistes, les politologues se sont livrés, à l’heure des résultats électoraux, à une surenchère de références telluriques. Jamais pourtant élection n’avait été plus prévisible. Jamais, sans doute, les sondages, si souvent décriés, n’avaient vu aussi juste. Mais faute de pouvoir trouver des explications, et faute de vouloir chercher des solutions, nos visiteurs des étranges lucarnes ont préféré se réfugier dans l’irrationnel et donner dans le registre de la catastrophe naturelle. Or, il n’y a rien de plus humain et de plus rationnel que ces européennes. On peut pour les expliquer recourir à deux grilles de lecture, l’une et l’autre pertinentes.

La première est morale, mais désespérante. C’est, avec le Front national, la victoire de valeurs que nous détestons. C’est le spectacle d’une partie de notre peuple, et aussi de beaucoup de peuples européens, qui se fourvoie. La deuxième grille est sociale. Et de cette lecture, nous pouvons tirer quelque chose de positif. Car nous avons eu affaire dimanche à un vote de classe. Dévoyé certes, mais néanmoins socialement connoté. Ce sont les victimes de la crise et ceux qui ont peur de le devenir qui ont exprimé leur rejet d’une Europe qu’ils tiennent – à tort ou à raison – pour responsable de leur sort. Le problème, c’est que ce vote, qui aurait pu être de saine révolte, n’est pas passé par le chemin qu’on aurait souhaité. À qui la faute ? Qui porte la responsabilité première de ce score historique du Front national ? La réponse est évidente. C’est la politique d’austérité du gouvernement, c’est le chômage, et les attaques contre les services publics. Et qu’on ne vienne pas nous dire que c’est une vision franco-française. Notre Président est un élève, peu doué certes, mais docile, de la discipline budgétaire européenne. Les deux, l’Europe de Bruxelles et la France de François Hollande, font la paire. Mais il y a plus dévastateur encore que cette politique : c’est l’identité de ceux qui la conduisent. Lorsqu’elle était l’œuvre de Nicolas Sarkozy, beaucoup d’électeurs entrevoyaient une alternative. En reprenant, à peine arrivé au pouvoir, le même discours zélé, François Hollande a bouclé toutes les issues. Pour exprimer leur colère, il restait à nos concitoyens la possibilité de s’abstenir. Ce qu’ils ont fait massivement. Ou, hélas, de voter pour le Front national, lequel s’est positionné habilement comme le parti du refus. Ils auraient pu aussi voter pour l’autre gauche, comme l’on fait les Grecs en portant en tête Syriza. En France, ils ne l’ont pas fait.

Ce qui nous amène à une autre question dans l’ordre des responsabilités : pourquoi Alexis Tsipras et pas Mélenchon ou Pierre Laurent ? La réponse, là encore, est simple. Simple en tout cas à énoncer : la faute à la division. Il serait vain ici d’en chercher les causes. Mais ce seul questionnement doit être porteur d’espoir. Comme souvent, c’est dans l’épreuve que les énergies se mobilisent. La gauche qui rejette la politique d’austérité existe, mais elle est multiple. Citons le Parti de gauche, le PC, Ensemble !, une grande partie des Verts, Nouvelle Donne, mais aussi une gauche du Parti socialiste dont Pouria Amirshahi, qui s’exprime cette semaine dans Politis, est l’un des animateurs. Et encore l’économiste Liêm Hoang-Ngoc, qui vient de lancer l’appel des « socialistes affligés ». Les forces ne manquent pas. Les ressources intellectuelles non plus. Il faut simplement que les réflexes sectaires et les tentations hégémoniques soient surmontés, que les débats se mènent dans le respect de la diversité des cultures, comme le souhaite Clémentine Autain dans l’entretien que nous publions dans les pages qui suivent. Le vote du 25 mai place chacun en face de ses responsabilités. Et Politis, dont c’est le credo de toujours, entend bien prendre sa part dans cet indispensable rassemblement.

Mais je m’en voudrais de conclure sans évoquer ici deux événements qui ont eu lieu lundi, et qui, en dépit des apparences, ne sont pas tout à fait sans rapport. Avouons-le, l’implosion de l’UMP de MM. Copé et Sarkozy pris la main dans le sac d’une gigantesque affaire de fausses factures nous a d’abord réjouis. La politique nous offre trop rarement des moments de vérité comme les aveux pathétiques du directeur de cabinet de Copé que son chef courageux avait envoyé au sacrifice. Dans un tout autre registre, nous avons assisté, perplexe, à la pauvre intervention télévisée de François Hollande. Le Président a eu des accents bravaches ( « pas plus tard que demain, je vais dire qu’il faut réorienter l’Europe » ) pour finalement conclure qu’il ne changerait rien à rien. Pourquoi lier ces deux événements ? Parce que nous avons là tout ce qui fait le miel du Front national : la corruption et l’impuissance. Et dans les deux cas, le discrédit terrible de la parole politique. Le vieux monde avec lequel il est urgent de rompre.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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