Thomas Coutrot : « Une grande partie de la dette est illégitime »

Un audit indépendant fait un état des lieux de la dette publique française et propose une série de mesures pour sortir de l’impasse austéritaire actuelle. Les explications de Thomas Coutrot.

Thierry Brun  • 29 mai 2014 abonné·es
Thomas Coutrot : « Une grande partie de la dette est illégitime »
© **Thomas Coutrot** est économiste, porte-parole d’Attac France.

Rembourser la dette publique ? « Tel est le leitmotiv des politiques d’austérité et de compétitivité, qui provoquent la déflation et gonflent les scores de la droite extrême », constate le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC) [^2]. Ce dernier a publié, le 27 mai, son premier audit de la dette publique de la France. Cette étude, intitulée : « Que faire de la dette ? », montre qu’une part importante de celle-ci est « illégitime »  (voir encadré). Pour Thomas Coutrot, l’un des animateurs du CAC, l’étude se veut aussi une « contribution au nécessaire débat public ». Il demande que des partis politiques s’en emparent en déposant un projet de loi autour de la « restructuration de la dette publique » .

Pourquoi réaliser un audit citoyen de la dette publique ?

Thomas Coutrot : La question est taboue. La réponse qui nous est donnée, considérée comme indiscutable, est que la dette publique vient d’un excès de dépenses. Personne dans le débat public ne remet en cause cette pseudo-évidence. On veut étouffer tout débat sur cette question. D’autre part, il y a peu d’instruments d’analyse disponibles. Par exemple, nous avons chiffré nous-mêmes l’impact des taux d’intérêt sur la dette. Dans cet audit, nous présentons un train de mesures qui peuvent initier une politique publique alternative. L’idée est de montrer que l’on peut agir avec des mesures relativement modestes, ou plutôt radicales, pour réduire la charge insoutenable de cette dette. Nous voulons que le débat se développe et que des décisions politiques soient prises après un débat démocratique large qui permette d’envisager les différentes solutions, leur dosage respectif, leur conséquence. L’objectif est d’ouvrir le champ des possibles et l’espace du débat.

Quelles sont les pistes envisagées ?

La plus évidente est l’annulation d’une partie de la dette. Cette mesure a été mise en œuvre en Grèce il y a deux ans, de façon totalement insuffisante et inefficace. Cela a permis de continuer à saigner le malade sans le guérir. Si la partie de la dette annulée est insuffisante, cela ne fait que prolonger la souffrance, sans la soulager. Or, nous estimons que la partie de la dette publique française jugée illégitime, au minimum de 59 %, doit être restructurée.

Qui doit payer la facture ?

L’idée est qu’il ne faut pas spolier les petits épargnants, notamment les salariés dont les retraites seront payées avec des fonds de pension qui ont investi dans la dette française, ainsi que les petits épargnants qui ont acheté des assurances vie. Cela suppose d’identifier les différentes catégories de détenteurs en levant l’opacité sur l’identité des créanciers de l’État. L’annulation est une chose, mais il y a une méthode plus directe qui consiste à mettre en place une taxe exceptionnelle sur les grandes fortunes, appliquée une fois mais à un niveau très élevé. Le Fonds monétaire international (FMI) a jugé que c’était une idée intéressante. Nous proposons un impôt exceptionnel qui surtaxe les gros patrimoines. Le produit de cet impôt progressif serait affecté au remboursement d’une partie de la dette. Une autre proposition consiste à sortir le financement de la dette et des États de l’emprise des marchés financiers. Par exemple, en créant une souscription obligatoire par les banques au titre de la dette publique, sans passer par les marchés. On peut aussi utiliser l’emprunt forcé auprès des contribuables les plus aisés, qui est une mesure plus douce que la taxe exceptionnelle. Car on prendra de l’argent aux riches sous forme de prêts, lesquels seront ensuite remboursés avec des taux d’intérêt faibles. Une de nos propositions consiste à étendre le secteur bancaire public avec des banques qui placeront des titres de la dette auprès des ménages. La socialisation du système bancaire est sans doute la plus radicale parce qu’elle consiste à retirer le système bancaire du secteur privé et à le placer sous le contrôle des pouvoirs publics et des citoyens.

Si on ne fait rien, où conduit la politique d’austérité menée par le gouvernement ?

Les résultats des élections européennes en donnent une illustration. On voit que la dette publique n’est pas gérable politiquement à long terme. À un moment donné, la situation deviendra insoutenable pour les corps sociaux en Europe. Les gouvernements seront obligés de prendre certaines des mesures que nous proposons. Mais la question n’est pas de savoir s’ils seront contraints d’en adopter, mais quand et avec quelle conséquence. La solution est que la restructuration de la dette, qui est inévitable, soit menée sous l’impulsion du débat démocratique et qu’elle aboutisse à une solution définitive du problème.

[^2]: Le CAC a été créé par plus de trente organisations associatives et syndicales, et des collectifs locaux ont été mis en place dans plus d’une cinquantaine de villes.

Économie
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