Intermittents : Manuel Valls donne des gages au Medef

Ce soir, le premier ministre a tenté d’apaiser les intermittents avec des compensations financières mais il a annoncé l’agrément de l’accord du 22 mars.

Ingrid Merckx  • 19 juin 2014 abonné·es
Intermittents : Manuel Valls donne des gages au Medef
© Photo: JACQUES DEMARTHON / AFP

De l’argent pour apaiser les tensions , il fallait oser. Qu’a proposé Manuel Valls, ce soir, pour répondre à la mobilisation des intermittents du spectacle après avoir accusé réception du rapport du médiateur Jean-Patrick Gille à 17 heures ?

  • Signer l’accord du 22 mars alors que des banderoles «Non à l’agrément» flottent encore sur un bon nombre d’édifices en France, dont l’échafaudage de la Philharmonie en construction à Paris.
    Argument du premier ministre : respecter l’accord auquel sont arrivés les partenaires sociaux.
    Sauf que la majorité des organisations d’employeurs du spectacle ne sont pas membres des organisations interprofessionnelles : Medef, CGPME et UPA, CFDT, FO, dixit le rapport d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques rendu par Jean-Patrick Gille à l’Assemblée en avril 2013.
    Ce faisant, l’Etat donne des gages au Medef qui ne va pas voir d’un bon oeil son intrusion dans le débat mais pourra se féliciter de faire l’économie d’une discussion avec tous les partenaires concernés.
    D’autre part, c’est l’ensemble de l’accord Unedic que les intermittents et précaires dénonçaient, et non seulement la partie les concernant (annexes 8 et 10 mais aussi 4, relative aux intérimaires).

« M. Valls prétend sauver les intermittents du spectacle en annonçant qu’il leur sera distribué un vague sédatif social et il se moque que 6 chômeurs sur 10 ne soient pas indemnisés. C’est bien l’ensemble des chômeurs et précaires qu’il méprise

  • Lancer une nouvelle mission pour engager une «nouvelles donne» sur les intermittents. A sa tête : Hortense Archambault, ancienne co-directrice du Festival d’Avignon, Jean-Denis Combrexel, ancien directeur général du Travail, et Jean-Patrick Gille, député PS actuel médiateur qui se voit donc prolongé jusqu’à la fin 2014. Ce devrait prendre la forme d’une discussion tripartite Etats-partenaires sociaux-intermittents sur l’ensemble des questions liées à l’intermittence (lutte contre les abus et la permittence, professionnalisation, etc.).

Sauf que quantité d’études sérieuses ont déjà réalisées depuis dix ans sur les intermittents du spectacle, dont celle commandée par le Syndeac sur l’indemnisation des professionnels du spectacle et qui a fait son petit effet au Sénat le 4 juin dernier.

  • Reporter le «différé d’indemnisation» , une des mesures les plus controversées du texte qui, en allongeant le délai de carence entre le versement des cachets et la perception des allocations-chômage risquait de laisser un bon nombre d’intermittents sans revenus pendant plusieurs semaines. Un conseil que lui a donné le médiateur, Jean-Patrick Gille. Lequel affirme, ce soir :

Sauf qu’en attendant, c’est l’État qui devra compenser l’effet de ce différé. Ce qui équivaut à faire jouer la solidarité nationale plutôt que la solidarité interprofessionnelle. Alors même que les intermittents défendent un régime par mutualisation, l’Etat vote un système assurantiel individualisé et se porte garant pour les précaires. Mais temporairement : pour six mois uniquement.

«Le fonds « social » d’Etat est fléché. Il doit pallier le manque de revenu dû à la carence (différé), mais exclusivement pour les annexes 8 et 10. Encore ne s’agit-il que d’une annonce pour tenter de désamorcer la mobilisation. Nous sommes face à l’application du pacte de responsabilité » qui prévoit 2 milliard d’économie sur l’assurance chômage, ce que l’accord du 22 mars met en oeuvre (à hauteur de 400 millions d’économie dès 2014, le reste à suivre). Il y’a donc un accord parfait quand aux objectifs : réaliser des économies sur le dos des précaires et inciter à l’emploi non choisi, dans n’importe quelle conditions. il s’agit d’aller vers le plein emploi précaire.» , décrypte la Coordination des intermittents d’Ile-de-France.

  • Maintenir les crédits 2015, 2016, 2017 de la création du spectacle vivant»* , d’après Jean-Patrick Gille. Ce faisant, il tente de faire valoir l’intérêt particulier qu’il porte à la culture.
    Sauf qu’en période de coupes drastiques dans le budget de la culture, cette décision revient à mettre en concurrences les différents domaines culturels : le spectacle vivant contre la patrimoine, par exemple.

  • Manuel Valls en appelle à la responsabilit é de chacun pour contrer les annulations de festivals. C’est oublier que ces annulations pénalisent en premier ceux qui ont préparé les dits spectacles.

«Pour le moment, la seule piste évoquée est l’agrément et la table ronde réunissant tout le monde. Hier au comité de suivi, cette éventualité a été balayée par tous. Nous avons parlé de provocation, d’opération communication, qu’une table ronde était acceptable uniquement si l’agrément n’était pas donné. De toute façon, si la table ronde était nécessaire, pourquoi ne l’ont ils pas imposé AVANT ?» , précise encore, à chaud, la Coordination des intermittents.

D’ors et déjà, un préavis de grève est lancé pour le 1er juillet. La CGT spectacle évoque des «mesurettes» .

Communiquer sur les efforts financiers en faveur du spectacle vivant en pleine politique d’austérité, en appeler à la responsabilité des intermittents alors même que le gouvernement refuse d’entendre leurs propositions, c’est à la fois renvoyer les intermittents dans leurs cordes et prendre le parti de rendre leur mouvement impopulaire. Aussi impopulaire que celui des cheminots…

C’est prendre aussi le risque d’ouvrir un nouveau front au Parti socialiste, dont certains parlementaires, sénateurs, élus, avaient pris position contre l’agrément. C’est enfin refuser d’assumer sa propre responsabilité dans les annulations de festivals. Et tenter d’acheter la paix, le temps de l’été.