La Poste : « Une restructuration néfaste du service public »

ENTRETIEN. L’ample mouvement de grève qui s’est développé au sein de La Poste est révélateur d’une situation explosive dans l’entreprise, explique Nicolas Galépides, secrétaire général de la fédération SUD-PTT.

Thierry Brun  • 15 juin 2014
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La Poste : « Une restructuration néfaste du service public »

Le gouvernement reste muet face au conflit des postiers dans le métier du courrier. Pourtant, un mouvement de grève d’ampleur a débuté il y a plusieurs mois au sein de La Poste et touche désormais plusieurs régions. Les tensions très fortes entre la direction et les facteurs sont révélatrices de la situation explosive dans l’entreprise. Les explications de Nicolas Galépides, secrétaire général de la fédération SUD-PTT.

Un mouvement social d’ampleur a lieu au sein de La Poste, avec notamment des facteurs en grève depuis plusieurs mois. Que se passe-t-il ?

Nicolas Galépides : Après la présentation fin 2013 d’un plan stratégique pour faire face à la chute annoncée de l’activité courrier, un vaste mouvement de réorganisation a été lancé par La Poste. Il enchaîne sur dix années de restructurations lourdes, dont la création de la Banque Postale et la métierisation accrue, avec des pertes considérables de synergie synonymes d’efficacité au sein de l’entreprise. Surfant sur une relative insécurité économique, cette conduite du changement permanent déstabilise les organisations du travail. Elle a des effets sur la santé des personnels et évidemment sur la qualité du service public rendu aux usagers.

C’est la raison pour laquelle les personnels, au premier rang desquels les facteurs et factrices, sont en grève. Ce sont eux qui prennent des coups sur la tête parce que c’est le secteur où il y a le plus de force de travail dans un service public proche des usagers. Sur les 85 000 emplois supprimés depuis 2003, 30 000 concernent le métier du courrier. Il reste aujourd’hui moins de 240 000 agents dans La Poste.

Les jours de la distribution du courrier sont-ils comptés ?

Cela fait dix ans que le métier de facteur est bouleversé, notamment avec le plan « Cap qualité courrier » lancé pour contrecarrer la concurrence dans le secteur postal. Cette concurrence n’est jamais arrivée, comme notre syndicat l’avait prévu. Il est difficile de s’implanter dans un pays où il y a un salaire minimum et où l’opérateur public paye déjà chichement ses employés… Le plan vise en fait à fermer les deux tiers des centres de tri de France et à supprimer un maximum d’emploi en ne remplaçant pas les départs « naturels ». Aujourd’hui, les infrastructures restantes ferment les unes après les autres. Sur les 43 centres restants 13 sont condamnés par la direction de La Poste, le dernier à fermer ses portes est à Créteil (Val-de-Marne), dont le trafic doit partir à Wissous dans l’Essonne.

Après le flop de l’arrivée de la concurrence on nous a fait le coup de la baisse des volumes de courrier, en indexant, voir en surenchérissant les suppressions d’emplois sur les évolutions du trafic. Sans tenir compte de la crise économique qui a un caractère conjoncturel, et sans tenir compte de la croissance des constructions individuelles. Les chiffres de l’Insee indiquent que nous avons une augmentation des résidences principales et secondaires de + 6,4% de 2006 à 2012. Il y a moins de courrier mais cependant plus d’adresses individuelles à desservir, un élément dont les dirigeants de La Poste ne tiennent aucun compte.

La net-économie a aussi un effet considérable sur les volumes de colis, un boulevard pour la première entreprise de proximité de France, celle qui détient encore le quasi monopole du dernier kilomètre et qui enfin est un tiers de confiance reconnu. Pour SUD-PTT, il ne s’agit donc pas de gérer l’avenir du courrier comme un liquidateur judiciaire.

La Poste est parfaitement capable de jouer dans la cour d’opérateurs comme Amazon. On a non seulement les entrepôts, mais en plus une banque et le dernier kilomètre. Il y a donc de l’activité en fort développement, mais la direction choisit systématiquement le modèle de la sous-traitance. Par exemple, Chronopost qui est l’opérateur de la distribution des colis en j+1 (express), c’est 98 % des prestations qui sont externalisées. Pour 60 millions de colis par an, c’est 3 500 équivalents temps pleins à l’année. Rien n’empêche par ailleurs d’intégrer la livraison à J+1 des colis dans le catalogue du service universel (les prestations relevant du service public), même pas les directives postales européennes. Il suffit d’un ajout dans le code des postes et télécommunications.

Les restructurations dans le secteur du courrier concernent-elles aussi les filiales du groupe ?

Le métier du courrier était construit sur un modèle à deux niveaux, les activités de service public à la maison mère et toutes les autres activités sous la coupe d’une holding du nom de Sofipost. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sofipost disparaît et ses filiales la remplacent, notamment Mediapost (services porte-à-porte de distribution de la publicité non adressée), Docapost (dématérialisation et rematérialisation du courrier, prestations d’accueil courrier en entreprise), Extelia (dématérialisation, vote électronique), etc.

Il y a plus d’une centaine de filiales concernées, dans un fouillis assez difficile à décrire. Une nouvelle structure verra une partie des services rejoindre la « direction du numérique » et l’autre partie intégrer directement la « direction du courrier ». Cela veut dire que se côtoieraient des postiers avec différents statuts pour faire le même boulot. Ce montage est dans tous les cas néfaste pour les personnels puisque la direction de La Poste cherche systématiquement le moins disant social. Cette démarche est facilitée par son statut à cheval entre droit de la fonction publique et droit du travail sur lequel surfent en permanence des patrons qui ne raisonnent qu’en terme de « business unit ».

Pour SUD-PTT, il n’est pas possible d’accompagner ces restructurations, car preuve est faite de leur inefficacité économique et sociale et de leur impact en terme de santé au travail. Mais il semble bien que pour la direction de La Poste, la messe soit dite sur le secteur du courrier, en décidant de le gérer comme une activité en voie d’extinction. Ainsi, les prévisions de la direction du courrier indiquent le passage de 18 à 9 milliards d’objets traités entre 2008 et 2018. C’est un sujet très sensible. Cela explique le fait que nous avons beaucoup de mal à négocier, que la répression syndicale ainsi que les violences sociales soient très fortes.

Illustration - La Poste : « Une restructuration néfaste du service public » - Manifestation devant le siège de La Poste, le 5 juin (Photo: Thierry Brun).

De nouvelles méthodes de travail ont été présentées aux facteurs par la direction de La Poste. Pourquoi les contestez-vous ?

On s’approche du modèle hollandais avec ces entreprises qui ont concurrencé la poste hollandaise en faisant travailler principalement des retraités, des étudiants et des mères au foyer. On leur dépose une sacoche avec du courrier et ces personnes sont rémunérées à la pièce. Salaire moyen net déclaré : 5 euros de l’heure !

Nous n’en sommes pas là encore, mais ce modèle séduit les patrons de La Poste française qui propose une fonction de « facteur guichetier » distribuant du courrier le matin et tenant un guichet l’après midi. Qu’on se comprenne bien, SUD-PTT n’a pas de problème quand des postiers qui sont dans une relation de confiance avec les usagers peuvent accomplir d’autres missions de service public que celles relevant de leur métier de base. Mais ces missions doivent être rémunérées à leur juste valeur et ne pas avoir d’impact sur d’autres professions.

Pour l’heure, les suppressions d’emploi sont allées très loin et les effets sur la qualité de service s’en ressentent. Il n’est pas rare que des agents rentrent de leur tournée avec du courrier non distribué tant les calculs de charge sont disproportionnés. On n’invente rien et les indicateurs sociaux de La Poste sont impitoyables, avec un taux d’absentéisme pour maladie qui ne cesse de croître, du fait notamment de la baisse des effectifs.

Les agents en ont ras le bol, pas étonnant que les débrayages se multiplient. C’est le cas en ce moment avec une multiplication des conflits aux quatre coins de la France. Malgré des paies bien souvent inférieures à 1 400 euros, les agents débrayent, sortent en AG, prêtent une attention aux propos des militants syndicaux qu’on n’avait pas connue depuis un certain temps.

Le cynisme des dirigeants de La Poste est aussi un facteur mobilisateur. Refusant de négocier, réprimant les militants, répertoriant avec des huissiers les agents qui assistent aux AG, les patrons ont déclaré la guerre à la classe des travailleurs. On en a marre des injustices et des salades qu’on nous raconte. Il n’y a aucune amélioration sur le plan social, coté rémunération c’est la modération pour les agents quand les patrons s’offrent des augmentations faramineuses (+ 130 % en dix ans pour le comité exécutif) sans parler du patron de La Poste, dont le salaire plafonné par François Hollande à 450 000 euros atteint les 739 000 euros en 2013.

Illustration - La Poste : « Une restructuration néfaste du service public » - Piquet de grève du centre de tri de La Poste à Epinay-sur-Orge (Essonne). [Photo: Thierry Brun]

Qu’en pense le gouvernement et surtout la représentation nationale ?

Le gouvernement est d’une apathie extraordinaire sur le dossier, surtout quand on se rappelle de l’engagement du ministre de l’économie sur le dossier postal lors de sa transformation en société anonyme. Le problème est qu’il a donné un blanc sein à l’équipe dirigeante actuelle et que c’est en gros la même équipe qui a mené La Poste dans le mur en tournant délibérément le dos aux nouvelles technologies et à la société du numérique. La même qui a mijoté pendant dix ans une catastrophe sociale dont les dimensions exactes restent encore à dévoiler !

La Poste déploie un intense lobbying auprès des parlementaires qui voient venir la menace d’une prise en charge des opérations postales en cas de déficit de l’opérateur public, d’où un vrai attentisme de ce coté-là. Le fait de décider d’éteindre l’activité des facteurs ne relève pas de la direction de La Poste ou de Bercy. Cela dépend de l’Assemblée nationale, du Sénat, de la collectivité. C’est au législateur de décider à l’issue d’un débat public sur une question aussi essentielle. Pour l’heure, les postiers résistent.

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