Médecine du travail : un blâme annulé

La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a annulé un blâme infligé en 2012 à Elisabeth Delpuech, médecin du travail de l’Ain, à la suite d’une plainte d’employeur.

Thierry Brun  • 1 juillet 2014 abonné·es

Le jugement de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, rendu public le 26 juin, est une nouvelle étape dans le long combat judiciaire mené par les médecins du travail attaqués par les employeurs au motif qu’ils constatent, en rédigeant des certificats médicaux ou des courriers destinés à leurs confrères, les liens entre l’organisation du travail et ses effets sur la santé psychique de salariés.

La chambre disciplinaire nationale a décidé d’annuler un blâme infligé en décembre 2012 à Élisabeth Delpuech, médecin du travail de l’Ain. Élisabeth Delpuech avait été sanctionnée par la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes après la plainte d’un notaire, employeur qui lui reprochait la rédaction de « certificats litigieux » , et contestait notamment sa « compétence pour se prononcer sur l’origine professionnelle d’une pathologie » .

Le docteur Delpuech avait reçu en consultation, hors visite annuelle, trois salariées d’une étude notariale qui l’ont amenée à un diagnostic de souffrance au travail et à rédiger des certificats médicaux. Ceux-ci ont été produits dans le cadre d’une action prud’homale en résiliation de contrat de travail. C’est à la suite de cette action en justice qu’une plainte de l’employeur a été déposée auprès du conseil de l’ordre des médecins.

Outre Élisabeth Delpuech, deux autres médecins du travail , Dominique Huez et Bernadette Berneron, ont fait l’objet de poursuites disciplinaires et ont lancé une pétition, signée par près de 10 000 médecins du travail, médecins inspecteurs du travail, infirmières en santé au travail, Contrôleurs, inspecteurs et directeurs du Travail. Depuis, une quinzaine de dossiers en cours d’instruction ont été recensés par les organisations représentant les médecins du travail.

Les raisons de l’annulation

L’annulation d’un blâme au niveau de la chambre disciplinaire nationale est, à ce jour, une première pour les médecins du travail attaqués par les employeurs. Cependant, le jugement indique subtilement que le docteur Delpuech « ne s’est pas bornée à faire siennes les déclarations de la salariée mais s’est fondée sur la connaissance personnelle qu’elle avait acquise des conditions de travail dans l’étude (notariale) à travers notamment des consultations dispensées à d’autres salariées de l’étude, ses constatations l’ayant amenée à alerter l’employeur et à le rencontrer puis à saisir à trois reprise l’inspection du travail » .

«  Élisabeth Delpuech est blanchie. L’absence de faute déontologique repose, selon l’ordre, sur tous les éléments objectivables de sa pratique “collective” de médecin du travail auprès des salariés et de la direction. Les éléments dilatoires de l’employeur plaignant sont rejetés » , réagit Dominique Huez, vice-président de l’association Santé et médecine du travail (A-SMT), médecin du travail lui-même condamné à un avertissement après la plainte d’un sous-traitant d’EDF auprès du conseil de l’ordre des médecins (il a fait appel de cette décision).

Un jugement en demi-teinte

Le jugement de la chambre disciplinaire nationale du conseil de l’ordre des médecins ne satisfait pas pour autant Dominique Huez : « malheureusement, aucun des moyens de droit concernant l’illégalité de la recevabilité d’une telle plainte, ne sont retenus. Cette recevabilité est, au contraire, réaffirmée pour les plaintes d’employeurs devant l’ordre. Rien n’empêche les employeurs de continuer à épuiser, devant des chambres disciplinaires, avec des plaintes injustes, les médecins du travail qui « écrivent » le lien santé-travail. L’autocensure des médecins pour l’écriture médicale du lien santé-travail ne peut donc que perdurer ! » .

Le vice-président de l’A-SMT appelle à poursuivre « la bataille juridique de l’illégalité de telles plaintes d’employeurs devant l’ordre des médecins » . L’association reproche aux employeurs la multiplication des plaintes de circonstance, destinées à décrédibiliser les écrits des médecins du travail. Les plaintes détournent une procédure inscrite à l’article R4126-1 du code de la santé publique modifié par un décret du 13 avril 2007 introduisant une confusion dans la liste des plaignants autorisés à une action disciplinaire contre un médecin devant la chambre disciplinaire du conseil de l’ordre des médecins. Alertée à de nombreuses reprises sur cette confusion introduite dans le code de la santé publique, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, n’a jusqu’à présent pas répondu aux demandes des organisations associatives et syndicales.

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