Philippe Meirieu : « Sortir de la caricature »

Il ne suffit pas de se proclamer alternatif pour être progressiste.

Philippe Meirieu  • 10 juillet 2014 abonné·es
Philippe Meirieu : « Sortir de la caricature »
© **Philippe Meirieu** est professeur en sciences de l’éducation à Lyon-II. Photo : AFP PHOTO / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Je n’ai pas voulu signer la pétition « Pour rendre possible le choix d’une alternative éducative dans l’école publique » (voir p. 17), même si je continue, par ailleurs, à soutenir des initiatives pour la création de structures alternatives. Mais une chose est de soutenir des initiatives qui obéissent à un certain nombre d’exigences, autre chose est d’appeler à la création d’un double réseau dans l’Éducation nationale : un réseau se référant à « l’éducation traditionnelle » et un réseau se référant à la « pédagogie innovante ». Car, l’institutionnalisation, de fait, de ce double réseau me semble comporter de nombreux dangers. D’une part, elle légitime, paradoxalement, la « pédagogie traditionnelle », qui se voit ainsi autorisée à se pérenniser sans jamais s’interroger sur les apports des pédagogues et de la réflexion pédagogique. C’est, pour moi, inacceptable ! Je me suis battu, pendant toute ma carrière, pour que tous les élèves – y compris ceux qui n’ont pas les parents « éclairés » qui choisiraient des « écoles innovantes » – puissent bénéficier des apports de la réflexion pédagogique. D’autre part, je suis très préoccupé de la concurrence libérale entre les réseaux qui pourrait ainsi se développer, chacun cherchant à exhiber les meilleurs résultats possibles pour justifier son existence et attirer le plus d’élèves. On sait, en effet, le caractère ravageur de cette concurrence dans un contexte où l’individualisme est dominant. On sait aussi que la concurrence encourage les évaluations purement quantitatives – les notes, les résultats aux examens – que, précisément, les pédagogues de l’Éducation nouvelle contestent très largement. Et puis, si je soutiens des initiatives visant à créer des « écoles alternatives », je ne le fais pas systématiquement. Je regarde chaque fois si ce sont des écoles qui assument les exigences et les missions du service public : laïcité, gratuité (ou, au moins, dégressivité forte des tarifs en fonction des revenus des familles), mixité sociale, etc. Je regarde aussi quelles sont les références pédagogiques que ces initiatives proposent. Car, pour moi, tout ne se vaut pas dans l’Éducation nouvelle et il ne suffit pas de se proclamer « alternatif » pour être progressiste. Enfin, je milite pour que l’Éducation nationale, avant de se lancer dans la mise en place d’un double réseau qui opposerait la « pédagogie traditionnelle » et les « pédagogies innovantes », fasse toute leur place aux innovateurs. L’Éducation nationale aurait tout intérêt à soutenir ces enseignants, en leur donnant, par exemple, plus de temps pour se former et évaluer collectivement, avec des chercheurs, les résultats et la portée de leur travail sur le long terme. Il faut absolument sortir de la vision caricaturale présentant, d’un côté, une Éducation nationale obscurantiste et, de l’autre, l’École nouvelle qui serait la lumière et la perfection. Certes, l’Éducation nationale reste massivement traditionnelle, mais il y a, en son sein, des professeurs qui pratiquent des pédagogies innovantes et y font un travail exceptionnel.

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