Barrage de Sivens : L’État mis en accusation

Après le décès d’un opposant et la publication d’un rapport très critique sur le projet tarnais, le gouvernement est dans une situation délicate.

Patrick Piro  • 28 octobre 2014
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Barrage de Sivens : L’État mis en accusation
© Photo : AFP PHOTO / GEORGES GOBET

La résistance au projet de barrage de Sivens, sur le Tescou (Tarn), a pris une dimension radicalement nouvelle après la mort d’un manifestant. Dans la nuit de samedi à dimanche, Rémi Fraisse est décédé à la suite d’une explosion possiblement provoquée par une grenade. Étudiant toulousain, il ne semblait pas appartenir aux groupes organisés qui ont violemment affronté les forces de l’ordre sur le site du Testet, en marge du rassemblement pacifique de quelque 2 000 personnes, dont José Bové et Jean-Luc Mélenchon. En parallèle à ce tragique événement, le ministère de l’Écologie rendait public, lundi, un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), commandé le 29 septembre après les sévères échauffourées lors du terrassement par des bulldozers de plusieurs hectares du site, reconnu d’intérêt écologique.

Les conclusions sont sévères . La retenue, prévue pour compenser l’impact des pompages d’irrigation, se révèle « très sensiblement » surdimensionnée, avec 726 000 mètres cubes de réserve alors que les agriculteurs en prélèvent moins des deux tiers. « Le projet est fondé sur des données de 2002 non mises à jour, il ne saurait avoir pour vocation d’accroître les prélèvements », indique Patrice Parisé, vice-président du CGEDD. Conséquence : un plan de financement fort douteux. Le rapport dénonce « un véritable problème de compatibilité » avec les conditions exigées par l’Europe et les règles en matière d’aides publiques. Par ailleurs, le contenu de l’étude d’impact environnemental est jugé « très moyen ». Le régime hydraulique en aval n’a été décrit qu’ « assez sommairement » et les mesures de compensation pour la destruction d’une quinzaine d’hectares de zone humide sont insuffisantes. Enfin,  « le choix d’un barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse des solutions alternatives possibles. Ceci est d’autant plus regrettable que le coût d’investissement [^2] rapporté au volume stocké est élevé ». Le prix au mètre cube se situe dans la fourchette haute du bassin Adour-Garonne, pour le bénéfice d’un groupe de 30 à 40 agriculteurs seulement, alors que le tarif appliqué ne couvrirait que 70 % de leur quote-part.

Ces faiblesses, qui confortent les opposants, n’ont pourtant pas conduit les services de l’État à retoquer un projet aussi bancal. « Il incombe au conseil général du Tarn, maître d’ouvrage, de décider de la suite », déclare prudemment Patrick Parisé, alors que la mission prend acte du fait accompli (contrats, travaux engagés, etc.), appuyant la poursuite du chantier en échange d’une adaptation des usages de l’eau afin de satisfaire aux exigences administratives. Préconisation concédée aux opposants : la création d’un comité de suivi « multi-acteurs » et une demande de réexamen de tous les projets de retenue du bassin –  « quelques dizaines », indique l’entourage de Patrick Parisé. Suffisant ? C’est loin d’être sûr. Delphine Batho, ex-ministre de l’Écologie limogée mi-2013, dénonce une hypocrisie. « Mon premier acte, au gouvernement, fut un moratoire sur le financement public de tels barrages dédiés au soutien d’une agriculture intensive qui pompe dans les nappes ou les rivières pour arroser le maïs en plein soleil ! Et l’un des premiers actes de Philippe Martin, mon successeur, fut de rétablir l’autorisation de financements publics. »

Pour Delphine Batho, la CGEDD ne fait que compiler des éléments connus depuis des mois par l’administration. Alors que le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) avait rendu un avis négatif, le préfet a pris les 2 et 3 octobre 2013 deux arrêtés validant l’intérêt général du projet ainsi que sa conformité au regard de la loi sur l’eau, au prix d’une présentation biaisée du dossier. « Quelle utilité publique, reprend Delphine Batho, alors qu’il s’agit de conforter l’irrigation ? Pour contourner l’obstacle, on a présenté la retenue comme soutien au débit d’étiage de la rivière. Alors que les arrêtés sont attaqués en justice, le démarrage des travaux vise à créer un état de fait. » Pour les écologistes, le drame de samedi renvoie le gouvernement à ses responsabilités. « Oseront-ils édifier un barrage sur un cadavre ? », tonne Gérard Onesta, vice-président EELV de la région Midi-Pyrénées. Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale du parti, demande « une enquête exemplaire » sur la mort de Rémi Fraisse et « l’arrêt immédiat des travaux » .

Côté gouvernement et députés socialistes, c’est la sourde oreille complète. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, condamnant les incidents consécutifs au décès du jeune homme, appelait les responsables politiques et associatifs « à la retenue ». Quant à Bruno Le Roux, président du groupe PS à l’Assemblée, il a dénié toute légitimité à la contestation, car « une poignée ne peut pas arrêter des projets d’utilité générale ».

[^2]: Environ 8,5 millions d’euros, dont 53 % à la charge de l’Agence de l’eau, 24 % pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et 22 % pour le conseil général du Tarn.

Écologie
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