« Et maintenant ? », de Joaquim Pinto : La vie et rien d’autre

Dans Et maintenant ?, Joaquim Pinto tient la chronique de sa maladie, qu’il transforme en passionnante exploration du monde. Avec une liberté formelle renversante.

Christophe Kantcheff  • 19 novembre 2014
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« Et maintenant ? », de Joaquim Pinto : La vie et rien d’autre
© **Et maintenant ?** , Joaquim Pinto, 2 h 44. Photo : Rui Gaudêncio

La lutte contre la mort implique un appel à la vie. C’est ce dont témoigne le film admirable de Joaquim Pinto, Et maintenant ?. Joaquim Pinto est un cinéaste portugais, réalisateur de longs métrages et de documentaires, en même temps qu’il a été ingénieur du son et producteur. Son film est une chronique autobiographique, qui s’étend sur un an, d’une tonalité particulière : depuis longtemps, le cinéaste est atteint du sida et d’une hépatite C, et, quand le film commence, il a décidé de se soumettre à un traitement en phase d’essai. Autrement dit, il entre dans une épreuve inconnue, après avoir épuisé les thérapies classiques, impuissantes. Ces informations sont indispensables ici pour savoir de quoi on parle. Mais il ne faut pas imaginer Et maintenant ? comme un film médical, « clinique », dans lequel Joaquim Pinto observerait les transformations de son corps ou rendrait compte par le menu de son obsession de la maladie. Bien sûr, par cette obsession, Joaquim Pinto est possédé. Qui ne le serait pas ? Elle l’amène à se documenter sur les virus, les traitements. Mais elle ne le referme pas sur lui-même, au contraire. C’est comme si elle le raccordait à l’univers, à l’infiniment grand et à l’infiniment petit.

La première image montre une limace qui avance. Un être ralenti, sensible au moindre brin d’herbe, à la plus infime dénivellation. La métaphore avec l’homme malade est limpide. Mais l’image animalière dans ce qu’elle a de miraculeux – le miracle de la vie – est aussi à prendre littéralement. Joaquim Pinto et son compagnon, Nuno, vivent dans une maison à la campagne, entourés de leurs quatre chiens, au pouvoir apaisant. Ils n’ont rien de gens de la ville qui se seraient mis au vert. Ils travaillent leur terre – surtout Nuno, plus jeune et bien portant, sosie d’un Christ solidement bâti –, la reboisent quand un incendie l’a abîmée, conséquence d’une sécheresse récurrente dans ce Portugal qui doit être au sud. Le cinéaste filme chaque manifestation de la nature comme un merveilleux mystère. Dans la correspondance d’Haeckel, un botaniste et philosophe du XIXe siècle, il a relevé ce passage, qu’il pourrait faire sien : « Cher père, ce que pour toi représente la réflexion sur l’histoire du monde et le destin de l’homme équivaut chez moi, à un niveau encore supérieur, à l’observation de la nature. » Dans sa recherche de sens pour faire reculer l’absurdité de la maladie, le cinéaste revisite aussi son histoire – il « ouvre de vieilles boîtes ». Il relate sa rencontre avec Guy Hocqueghem, un voyage à Madrid avec ses parents, des discussions avec João César Monteiro, des tournages auxquels il a collaboré, dont un de Raoul Ruiz, qui apparaît sur des images en Super 8…

Mais, là encore, ce retour sur sa biographie ne se réduit pas à une simple introspection. En plus de faire songer à Hésiode et à son œuvre maîtresse, les Travaux et les Jours, il y a du Montaigne dans Et maintenant ?. Un Montaigne contemporain, qui pense le monde à partir d’une conscience de soi hypersensibilisée par une maladie d’aujourd’hui. Le film prend ainsi une amplitude philosophique, tout en restant ancré dans le quotidien, qui va d’une remarque de nature anthropologique à une réflexion politique, sur le scandale de la dette, par exemple. « Nous sommes trop récents. Quand on disparaîtra, la vie respirera, soulagée. » À de telles fulgurances du verbe correspond une audace poétique de l’image, que Joachim Pinto travaille avec une inventivité extraordinaire. Un plan simple et tragique sur une guêpe agonisante, une scène d’amour tendre et sensuelle entre les deux hommes dans la pénombre, un paysage en dessin d’animation… Et maintenant ? est d’une liberté formelle renversante, en symbiose avec la recherche intellectuelle du cinéaste. Que vient assombrir fréquemment le rappel du corps souffrant. À propos de la syphilis, qui a dévasté l’Europe au XIXe siècle, Joachim Pinto parle d’essais cliniques qui ont eu lieu au Portugal, en 1910, avec un arsenic « qui promet[tait] la guérison ». Il questionne : « Mourir de la maladie ? Mourir du traitement ? »

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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