« Le Triangle d’hiver », de Julia Deck : Trouble identité

Le Triangle d’hiver, deuxième roman de Julia Deck.

Christophe Kantcheff  • 20 novembre 2014 abonné·es

Chez Julia Deck, les identités ne sont pas sûres. Déjà, Viviane Élisabeth Fauville, héroïne de son premier roman éponyme, avait le prénom fluctuant. Dans ce deuxième roman, le Triangle d’hiver, une jeune femme, « Mademoiselle », entre dans la peau de Bérénice Beaurivage. Elle s’est choisi ce nom parce qu’il est celui d’une romancière qu’interprète Arielle Dombasle dans un film d’Éric Rohmer. Blonde, elle se trouve une ressemblance avec l’actrice, et romancière est une activité qui lui convient. Bien mieux que celle de travailleuse intérimaire. C’est-à-dire pauvre. « Certes, elle pourrait chercher un emploi, attendre frugalement son premier salaire puis louer une studette où démarrer une nouvelle vie. Mais tout cela est trop lent, trop fastidieux, et il lui semble avoir parcouru mille fois ce sentier qui toujours ramène au point de départ. »

« Mademoiselle » s’invente donc une identité, ce qui n’est pas chose facile quand un homme qui s’amourache de vous veut tout savoir de vous. Il faut inventer sans trop en dire. Mais, ce que montre le Triangle d’hiver, c’est que, pour composer un personnage comme on s’achète une conduite, il faut en avoir les moyens, matériels, sociaux, culturels. Une journaliste amie de l’homme démasque « Mademoiselle » rien qu’en l’examinant : « L’illusion vestimentaire, les finitions approximatives, le corps mal à l’aise dans ces habits brodant une histoire à laquelle il n’adhère pas. » Mine de rien, le Triangle d’hiver est aussi un livre redoutable sur la domination masculine. Face à « Mademoiselle », les hommes, toujours, ont leur jouissance pour objectif. Jouissance sexuelle, jouissance de propriété, jouissance de contrôle aussi. Et c’est bien là que « Mademoiselle », avec son identité floue, ses désirs opaques et son passé muet, est déstabilisante…

Littérature
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