Un service public du Web

France Télévisions et Radio France préparent des programmes d’info en continu sur support numérique. Un projet intéressant s’il sort des modèles existants.

Jean-Claude Renard  • 18 décembre 2014 abonné·es
Un service public du Web
© Photo : AFP PHOTO / JOEL SAGET

L’année à venir est chargée pour le groupe public. Pas seulement parce qu’au mois de mai France Télévisions aura un nouveau président à sa tête (à moins que Rémy Pflimlin ne succède étonnamment à lui-même), ce qui en interne et à l’extérieur suscite déjà remous et convoitises, mais parce que le groupe devra installer son projet « Info 2015 ».

Un projet, prévu pour septembre, qui entend rapprocher les rédactions de France 2 et de France 3 et celles du numérique, qui avait provoqué, sitôt évoqué à l’automne 2012, nombre de réactions hostiles parmi les intéressés, dénonçant non pas un « rapprochement » mais une fusion, au risque de devenir une vaste news factory, « avec une organisation bureaucratisée, des journalistes exécutants, prestataires de services, dans un processus de taylorisation, et donc un risque d’appauvrissement », pointe Claude Guéneau, journaliste à France 3, membre du SNJ-CGT et élu au CE. En janvier 2013, les salariés s’étaient exprimés sur ce projet : ils avaient voté contre à 82 %, avec un taux de participation de 75 %. Il n’empêche, la direction entend bien remplacer la « logique de rédaction par chaîne » par une logique « tous contenus sur tous supports », selon un document que s’est procuré l’AFP. Les journalistes des rubriques économie et social des deux chaînes, réunis en un seul service, seraient les premiers touchés. Ceux de la culture basculeraient sur Culturebox, plateforme de France Télé sur le Web dédiée à la culture pour alléger précisément les JT des sujets culture (sachant que la rubrique occupe 6,3 % d’un JT sur France 2 et 5,7 % sur France 3, c’est assez cocasse). Ce projet « Info 2015 » n’avance pas seul mais avec une autre ambition : une chaîne d’info en continu numérique. Une idée qui n’est pas nouvelle au service public. Ne serait-ce que parce que tout le monde veut sa chaîne d’infos. À France Télé, cela date de l’an 2000, quand naît l’envie de fonder France 6 sur ce créneau. Mais le groupe s’est toujours heurté au refus du CSA et de son ministère de tutelle. Entre-temps, sur le modèle de LCI (groupe TF1), créée en 1994, i-Télé (1999, groupe Canal) et BFM TV (2005, groupe Next Radio) ont avancé leurs pions et dominent le marché sur la TNT gratuite (écrasant au passage France 24, lancée en 2006). Le virage numérique est donc l’occasion qui fait le larron de contourner l’obstacle CSA, le groupe comptant sans doute profiter du succès du site France TV info (FTi), plateforme d’actualités lancée en 2011, bien présente dans le paysage des médias en ligne. La démarche est stratégique. Elle correspond à un usage de la télévision qui se veut aujourd’hui délinéarisé. Le temps du laboratoire est terminé. Il est donc fondamental de créer un service public du Web, de proposer une offre à la hauteur de la demande, et ce « en toute légitimité, vu le savoir-faire, particulièrement sur le reportage », s’accordent les syndicats.

L’enjeu est de taille pour France Télé, quitte à balbutier dans les premiers temps. Mais les moyens humains et techniques sont là, avec une multitude de correspondants un peu partout. Il conviendra surtout de faire autre chose que du BFM TV ou de l’i-Télé. C’est-à-dire autre chose que des directs chocs et sans recul, une quête du bon client, un ballet de prétendus experts, des réactions en permanence, une priorité au sensationnel et à l’à-peu-près, autre chose qu’un emballement médiatique à gogo, où tout se vaut et se fait à l’identique, où l’on plante ses caméras des heures durant en remplissant les béances de bavardages, privilégiant la spectacularisation. Le risque pour France Télé serait de faire de l’info low cost. Elle a devant elle l’exact exemple à ne pas reproduire, et un chantier éditorial et industriel excitant, qui pourrait renouveler le service public (et sortir le téléspectateur/internaute de la grand-messe du 20 heures, devenue un magazine d’actualités). France Télé n’avance pas isolée. À la maison de la Radio, France Info réfléchit à apporter de l’image au son, « un service global d’info en continu qui mélangerait radio, vidéo et numérique ». De là à imaginer une convergence au sein de l’audiovisuel public, il n’y a pas loin.

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