Le jazz en héritage

Filmés par Laure Duthilleul, Bernard et Louis Lubat livrent leur conception de la transmission musicale.

Lorraine Soliman  • 29 janvier 2015 abonné·es

Le père, le fils, l’esprit Lubat. Et bien plus encore. Le documentaire que Laure Duthilleul a réalisé autour de Bernard Lubat et leur fils, Louis, entre ses 8 et 20 ans, est un superbe hommage à la transmission orale. Le sujet semble évident quand on connaît un peu Bernard Lubat, Lubat le musicien, Lubat le libre-penseur, Lubat le Gascon. Il sonne d’autant plus juste quand on a mis les pieds à Uzeste, son village natal au cœur de la forêt landaise. Mais il fallait oser s’en emparer et surtout savoir le faire vibrer à l’heure du temps qui court. Laure Duthilleul a su capter puis sélectionner les images qui traduisent le plus naturellement cette transmission hors cadre et son fil conducteur, la relation filiale. Caméra discrète et commentaires zéro. Les scènes parlent d’elles-mêmes, souvent filmées avant et après les concerts, dans les coulisses d’Uzeste. Des coulisses que la réalisatrice a fréquentées assidûment en tant que membre de la Compagnie Lubat, de 1977 à 1999. Uzeste, ses cinq cents habitants, sa forêt de pins, sa collégiale du XIIIe siècle, sa boulangerie et son Estaminet constituent le décor d’une aventure pionnière et hors norme qui dure depuis trente-sept ans : l’Hestejada de las arts, plus connu sous le nom de festival d’Uzeste. C’est dans ce «   bain » qu’a grandi Louis. Il a fait «   l’école d’ici », où l’on joue presque tout le temps et partout, dès tout petit. «   Car l’histoire de la transmission, ce n’est pas que d’apprendre pour jouer, c’est de jouer pour apprendre. C’est l’inverse de ce qui se passe dans les écoles de musique   », complète le père.

Tel est le renversement dialectique qui s’opère à Uzeste, pour une poignée de gamins du coin (dont Louis) qui formeront bientôt le groupe Los Gojats (les jeunes gens en occitan), autant de «   fils artistiques » de la famille Lubat. Leur grand-père, l’accordéoniste Alban Lubat, faisait de l’Estaminet uzestois un cabaret musical dès les années 1930. Il ne savait pas, alors, à quel point sa descendance lui serait fidèle, et renversante. Uzeste défend et fait vivre «   la musique en marche, cette musique vitale qui n’est pas de saison. Beaucoup de gens croient que la musique est ce bombardement radioactif qu’ils voient à la télé et entendent sur les radios commerciales. D’ailleurs, ils ne disent plus “musiciens”, ils disent “chanteurs”. On est dans l’époque des grandes surfaces, pas dans celle des grandes profondeurs ! Il faut résister à ce contrôle monstrueux de l’imaginaire et arrêter avec ce public captif qu’on cultive pour lui vendre des salades ». Inventer une nouvelle relation entre artistes et spectateurs, penser la musique comme un engagement psychologique et politique, cultiver l’expression (dé)libérée, c’est ce à quoi on travaille à Uzeste.

«   Le jazz a ouvert la porte à l’improvisation démocratique », précise Lubat père. « Et petit à petit cette improvisation a créé ce qu’on peut appeler la musique improvisée. C’est-à-dire des musiques qui se sont affranchies de toutes ces lois qui représentent la religion du marché. Ce qui m’intéresse là-dedans, ce sont les innovations et les libertés esthétiques, et ce que j’ai proposé à Louis, c’est que dans cette nécessaire créativité on garde toujours en contrepoint le tambour archaïque.   » Sans artifices, mais non sans peine, la transmission se fait, au fil du vertige et des «   œdipes complexes », en résistance au «   désordre établi   ». Fragilité et gratuité sont au cœur du débat uzestois, dont Louis et ses copains savent s’emparer et qu’ils ont d’ores et déjà converti en un Parti collectif (PC) imprégné d’espoir.

Cinéma
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