L’histoire, par le menu

Tristan Hordé livre un tableau de l’évolution de la table, miroir de la société.

Jean-Claude Renard  • 30 avril 2015 abonné·es

« Tenez-vous bien, ou plutôt tenez-vous mieux », s’amusait Pierre Desproges, amateur de bonne chère et fin gourmet. « Accrochez-vous bien », pourrait-on ajouter au regard de ce menu d’Urbain Dubois, au mitan du XIXe siècle. Potages : consommé de volaille Sévigné, bouillabaisse à la provençale. Hors-d’œuvre : filets de rougets en caisse. Relevé : longe de veau à la Monglas. Entrées : timbale de macaroni à la parisienne, côtelettes de chevreuil sauce venaison, pain de volaille à l’aspic garni de filets de dindonneau en belle vue. Rôti mêlé : perdreaux et chapons. Entremets : pieds de fenouil à l’espagnole, pommes meringuées aux confitures, pain d’orange à la gelée, bouchées de dames à la crème vanille. Quel Gargantua pourrait avaler ça ? On est loin du « menu du jour » avec entrée, plat, dessert.

C’est tout l’objet de cet essai de Tristan Hordé, dessinant de la fin du XVIIIe siècle à aujourd’hui une histoire des menus, convoquant les casseroleurs des têtes couronnées (tel Urbain Dubois), les premiers entrepreneurs de la table et quelques figures contemporaines (Pierre Gagnaire, Alain Passard). L’auteur ne se prive pas d’éplucher les intitulés. Mais, à travers les menus, il brosse aussi une histoire de la gastronomie, dans ses volets sociaux, économiques et culturels, ses modes, ses habitudes, ses évolutions. Où l’on apprend que le nombre de restaurants à Paris « dépasse largement le millier à la fin du XIXe siècle », qu’il a fallu attendre le bout des années 1960 « pour que la pratique du restaurant se généralise », ou que la part de la restauration commerciale entre 2004 et 2012 est passée de 40,3 % à 67 %. Au pays de la « science de gueule », selon l’expression de Rabelais, ça la fout mal.

Littérature
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