« Opération Correa », de Pierre Carles : Les mythes de l’actu

Pierre Carles interroge les représentations médiatiques sur l’expérience équatorienne.

Lena Bjurström  • 16 avril 2015 abonné·es
« Opération Correa », de Pierre Carles : Les mythes de l’actu
© **Opération Correa, épisode 1 : Les ânes ont soif** , Pierre Carles, 54 min. Précédé du court-métrage On a mal à la dette, du même réalisateur. Photo : Les films des deux rives

Toute visite en France d’un président étranger apporte sur nos écrans son lot d’images convenues de poignées de main, de sourires diplomatiques et autres accolades. Toutes ? Non, car la visite du président équatorien Rafael Correa en novembre 2013 est passée quasiment inaperçue. Nulle foule de journalistes battant le pavé de la cour de l’Élysée, nul entretien politique à la grand-messe du 20 heures. La visite de ce chef d’État « gauchiste » qui a reconfiguré l’économie de son pays, en refusant notamment de rembourser une partie de la dette nationale, jugée illégitime, s’est déroulée dans la plus parfaite indifférence médiatique.

Une anecdote de l’histoire dont Pierre Carles s’empare pour dénoncer, une fois encore, les biais idéologiques des grands médias. À ce titre, Opération Correa, épisode 1 : Les ânes ont soif n’est pas tant un documentaire qu’une démonstration, magistrale et un plaidoyer politique. Comme à son habitude, le réalisateur interroge plusieurs journalistes de grande audience, les poussant presque naïvement dans leurs retranchements ou leur cynisme, à l’instar de Christophe Barbier. L’explication du silence médiatique, selon le directeur de l’Express, est simple : « Les médias se disent : est-ce que c’est dans l’actualité ? Bon, l’Équateur, ce n’était pas dans l’actualité. S’il y avait eu une Française otage d’une guérilla en Équateur, il aurait été invité sur tous les plateaux de télé. » Et peu importe que l’expérience équatorienne fasse écho à la dette des pays européens. Peu importe qu’elle ouvre une alternative dans un univers médiatique et politique où l’austérité est un dogme.

En quelques entretiens, Pierre Carles et son équipe démontent un mythe. L’actualité n’est pas « objective ». L’actualité est construite, elle passe sous silence nombre de sujets qui, pourtant, nous concernent de près. Dans sa démonstration, Pierre Carles ne s’embarrasse ni de formes ni de recul sur son personnage principal. Pour mieux appuyer sa mise en cause des médias, il montre Rafael Correa sous son meilleur jour : charismatique, génie économique, président du peuple… Un portrait si beau que l’on en vient à se demander si le réalisateur n’a pas temporairement rangé l’esprit critique qui a fait sa célébrité. Il réapparaîtra peut-être dans le prochain épisode. Car, comme son nom l’indique, cet « épisode 1 » est le pilote d’une série de films sur la politique équatorienne, dont Pierre Carles compte bien abreuver la France d’ici à l’élection présidentielle de 2017. Pas de faux-semblant, le feuilleton s’assume militant. Et il a le mérite de prouver que, miracle ou mirage, le « modèle équatorien » a de quoi susciter la curiosité.

Cinéma
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