Renfort de poids pour les receleurs de chaises HSBC

Edgar Morin, Claude Alphandéry et Susan George se sont publiquement déclarés solidaires de Bizi, qui réclame à la banque le remboursement de 2,5 milliards d’euros d’évasion fiscale en échange des huit sièges qui lui ont été subtilisés.

Patrick Piro  • 17 avril 2015
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Renfort de poids pour les receleurs de chaises HSBC
photos © Patrick Piro 1- de gauche à droite, encadrant la chaise HSBC : Patrick Viveret, Edgar Morin, Claude Alphandéry, Alain Caillé, Susan George, Jean-Noël Etxheverry (Txetx). 2- conspiration des "receleurs de vol en réunion" chez Alain Caillé.

Un peu déçu, qu’on est : invité de très discrète manière à un rassemblement de complices de « recel de vol en réunion », on frissonnait par anticipation. Or, mercredi 8 avril, voilà des conspirateurs très décontractés et pas du tout anonymes, conversant avec quelques journaliste sur le trottoir d’une avenue parisienne très fréquentée. Patrick Viveret, philosophe, arrive en portant une chaise de bureau qu’il vient solennellement remettre au sociologue Alain Caillé, directeur de la revue du Mauss.

Il s’agit de l’une des pièces de mobilier les plus recherchées de France : elle a été empruntée, otage, par l’association basque Bizi le 12 février, avec sept autres sièges à l’agence HSBC de Bayonne, dans le but de faire plier la banque pour qu’elle restitue 2,5 milliards d’euros dont elle a facilité l’évasion fiscale vers la Suisse en hébergeant complaisamment l’argent de contribuables français fraudeurs.

Le chantage n’est pas pris à la légère par la direction de l’établissement, qui maintient sa plainte mordicus. Trois chaises ont été récupérées chez Bizi, ce qui fait monter la valeur des dernières fugitives à 500 millions d’euros pièce, calcule Jean-Noël Etcheverry (Txetx), de Bizi. La police ne baisse pas non plus le pied puisqu’elle a lancé ses troupes parisiennes à la poursuite du mobilier que les malfrats ont exfiltré du Pays basques vers l’Île-de-France.

Et les enchères montent, sur l’avenue parisienne ! Non contents de jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, qui veut convoquer les caïds qui ont révélé détenir une des chaises (l’économiste Thomas Coutrot, le président des Amis de la Terre Florent Compain…), les justiciables présentent trois renforts de poids : le philosophe Edgar Morin, l’essayiste altermondialiste Susan George et l’ancien résistant Claude Alphandéry — un genre de « retourné » puisqu’avant de devenir une référence de l’économie sociale et solidaire, il sévissait dans le monde de la banque. Et tout ce petit monde, très sûr, de se justifier à visage découvert.

La stratégie est simple : constituer une chaîne de solidarité pour faire tourner les sièges, et la police en bourrique. Les Amis de la Terre envisage de faire fuir leur chaise HSBC vers la Suisse. Attac songe aussi à mettre la sienne à l’abri aux Pays-Bas en transitant par le Luxembourg, paradis fiscal notoire. Vers un mandat international de recherche ? Les conventions bilatérales d’extradition concernant les individus s’étendent-elles aux biens ?

Illustration - Renfort de poids pour les receleurs de chaises HSBC

Mais tout cela reste très sérieux relève Claude Alphandéry, qui dénonce, derrière l’ubuesque, le sens profond de cette traque du mobilier HSBC : « Ce que le Parquet défend avant tout, dans cette affaire, c’est la propriété privée. » Alain Caillé, main posée sur le dossier de la chaise du jour, résume l’objectif par un slogan : « Debout ! » — contre l’amoralité financière, pour l’éthique bancaire et pour un débat public sur l’évasion fiscale, qui pourrait atteindre, années cumulées, quelque 32 000 milliards de dollars dans le monde, selon une étude livrée par Tax Justice Network en 2012.

Edgar Morin, lui aussi candidat au recel temporaire du siège de HSBC, se marre : « j’envisage avec sérénité ce qui va se passer, et je crois plutôt mériter une médaille que l’incarcération. Nous sommes dans une forme de résistance à la domination, de plus en plus forte, de la finance sur les sociétés. Les possédants sont possédés par l’argent ! » Et puis il y a le plaisir de la bonne blague, « qui régénère l’action politique ».

Taxer des chaises : l’invention de Bizi est en passe de faire florès. Le 7 mars, Attac braquait l’agence BNP-Paribas Paris Voltaire. Butin : cinq fauteuils. La banque, sentant le piège, n’a pas porté plainte.

À Bruxelles, toujours au préjudice de la BNP, une trentaine de militants de « Qui vole qui » a sorti une partie du mobilier d’une agence sur le trottoir. Et le 23 février, dans un geste de bonne volonté bien dans son style, l’association « Sauvons les riches » a rapporté une vingtaine des chaises de brocante à l’agence HSBCS parisienne de la rue du Temple, dans l’espoir avoué de récupérer les milliards évadés en Suisse.

« La médiation a échoué », déplorait un porte-parole. Tout le monde n’a pas le sens du second degré. Txetx rapporte un coup de fil de la police de Bayonne à Bizi : « Mais alors, vous avez rendu les chaises ? »

Écologie
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