Vincent Drezet : « Avec le prélèvement à la source, on risque de déstructurer l’impôt »

Serpent de mer du débat fiscal, la retenue à la source devrait être mise en œuvre prochainement. Mais est-ce vraiment un progrès ? Les explications du fiscaliste et syndicaliste Vincent Drezet.

Lauriane Clément  • 8 juillet 2015 abonné·es
Vincent Drezet : « Avec le prélèvement à la source, on risque de déstructurer l’impôt »
© **Vincent Drezet** est secrétaire général du syndicat Solidaires Finances publiques. Dernier ouvrage paru : *Une société sans impôts ?* (Les Liens qui libèrent, 2014). Photo : AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN

Après le gouvernement, François Hollande a confirmé que la retenue à la source de l’impôt sur le revenu serait « engagée dès 2016 pour être pleinement appliquée en 2018 », soit un impôt directement collecté par les employeurs. Ce système est présenté comme simple et efficace, un « choc de simplification à l’épreuve du conservatisme administratif », indique un rapport de la fondation Terra nova. Mais qu’en est-il vraiment ?

Le prélèvement de l’impôt à la source sera-t-il applicable en 2018 ?

Vincent Drezet : On a le sentiment d’une précipitation quand on voit le cadre politique de l’annonce. Le délai de 2018 est très risqué, car ce nouveau système demande un calage au niveau informatique, administratif et fiscal. En tout état de cause, matériellement, on a du mal à y croire.

Quelles seront les conséquences fiscales de ce changement ?

La retenue à la source accroît la complexité du système fiscal et ne règle rien en elle-même. Contrairement à ce que l’on entend, c’est un mode de gestion très contraignant. L’administration fiscale doit traiter l’accueil et les déclarations des contribuables, les demandes ponctuelles des personnes dont la situation a changé, et s’assurer que les entreprises reversent bien les impôts. En Allemagne, ce sont 2 100 fonctionnaires qui ne font que cela. En France, on a perdu 30 000 emplois depuis 2002, alors que les charges augmentent.

Est-ce que ce sera le même impôt pour tous ?

Le prélèvement à la source concernera les salariés et les retraités, mais pas les professions indépendantes. On inventera, ou pas, un système pour celles-ci. On risque d’avoir des différenciations sur les modes d’imposition et une déstructuration de l’impôt sur le revenu.

Quels sont les effets de ce type de prélèvement pour les salariés ?

Pour un salarié dont la situation professionnelle ne change pas, les effets sont neutres en apparence : au lieu d’être prélevé sur son compte bancaire, il sera prélevé sur sa fiche de paie. Le problème, c’est que le salarié doit être bien plus réactif qu’aujourd’hui pour déclarer le moindre changement de situation. Il n’y a pas de valeur ajoutée par rapport au système actuel : la retenue à la source présente plus d’inconvénients que d’avantages.

Et pour les entreprises ?

Aujourd’hui, l’impôt sur le revenu est un impôt d’État. Si on transfère cette mission aux entreprises, on peut craindre des pertes en ligne et que les entreprises ne reversent pas tous les impôts collectés. C’est aussi une charge de gestion supplémentaire pour elles. L’État doit conserver la maîtrise, pas les employeurs.

Le prélèvement à la source facilitera-t-il la consommation et limitera-t-il l’épargne de précaution ?

Nous n’y croyons pas. Le jour où le salarié verra une baisse de son salaire net sur sa fiche de paie, ça lui fera bizarre. Il ne va pas rehausser son niveau de consommation, car il y a aura toujours la régularisation en année N+1 et l’incertitude du montant. Donc l’impact sera, au mieux, limité.

Que penser de « l’année blanche » sans impôts de 2017 ?

Ce n’est pas une année blanche pleine et entière : elle a forcément une incidence budgétaire. Une année blanche revient à priver l’État de recettes fiscales au fil des années. Le manque à gagner viendra notamment des départs à la retraite des contribuables concernés par le basculement d’un système à l’autre. De plus, certains contribuables pourraient en profiter pour réaliser des plus-values qui ne seraient pas imposées, alors que d’autres seraient lésés. Le gouvernement n’est pas prêt sur ce point.

**Vous défendiez le principe d’une réforme fiscale bien avant la mise en œuvre d’une telle mesure… **

Durant la campagne présidentielle, François Hollande disait qu’il ferait une réforme fiscale avant de passer à la retenue à la source. Que l’on soit pour ou contre, c’était au moins cohérent. Là, finalement, on réforme le mode de collecte sans réforme fiscale ! L’urgence, en la matière, est de faire une revue des niches fiscales, de les rénover ou de les supprimer, selon leur intérêt. Le but est d’avoir un impôt plus stable, plus simple et plus juste. C’est notamment à cause du coût de ces niches que les impôts progressifs sont aujourd’hui ultra-minoritaires dans le paysage fiscal. En ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, il existe des niches et des régimes dérogatoires qu’il faut revoir, comme le crédit d’impôt recherche. Un gros chantier devrait être ouvert autour de la fiscalité locale, car il faut rééquilibrer les impôts locaux. Enfin, nous prônons une harmonisation fiscale au niveau européen. Il y a encore du chemin.

Économie
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