En état d’urgence climatique

Très déterminée, la société civile n’attendait rien de l’accord de Paris et s’est mobilisée dans des conditions difficiles pour faire entendre sa voix. Elle prépare désormais l’après-COP 21.

Patrick Piro  • 16 décembre 2015 abonné·es
En état d’urgence climatique
© Photo : Manifestation des « lignes rouges climatiques à ne pas dépasser », le 12 décembre, avenue de la Grande-Armée. Patrick Piro

L’accord de Paris ? « Encore plus décevant que ne le prévoyaient les plus radicaux d’entre nous, sanctionne Tadzio Müller, chargé du dossier climat à la Fondation allemande Rosa-Luxemburg. Réductions d’émissions, promesses financières : aucun des chapitres les plus importants ne contient de clause juridiquement contraignante. Quant à la justice climatique pour les pays du Sud, il ne s’agit que de charité. »

Ils ne se faisaient aucune illusion sur la COP 21 avant son ouverture, et leur conviction s’est renforcée à mesure qu’approchait sa conclusion. Plus de 3 000 militants s’étaient réunis au Centquatre, à Paris, pour peaufiner les mobilisations qui ont occupé la rue à Paris samedi 12 décembre, « car c’est à la société civile d’avoir le dernier mot ». Et même si les organisateurs espéraient plus que les 20 000 personnes rassemblées au Champ-de-Mars, les mouvements citoyens peuvent se targuer d’avoir réussi leur sommet climatique. « Nous vivons ici un moment historique pour nos mobilisations ! », lance l’économiste Geneviève Azam.

Tout d’abord parce que les mouvements citoyens ont traversé leur épreuve du feu. L’état d’urgence, décrété au lendemain des attentats du 13 novembre, a précarisé pendant un mois toutes les mobilisations prévues dans la rue, parfois autorisées au dernier moment – un quart d’heure avant, pour la manifestation des « lignes rouges » sur l’avenue de la Grande-Armée ! En dépit de tensions importantes à l’heure d’appels à la désobéissance civique contre des mesures d’interdiction jugées liberticides par les plus offensifs, la Coalition Climat 21 ne s’est pas disloquée. La plateforme française, rassemblement sans précédent de 130 organisations aussi diverses que la CFDT, 350.org, le CCFD-Terre solidaire, Alternatiba, ATD Quart-Monde, le WWF, Attac… est parvenue à gérer d’importantes divergences stratégiques en imposant sa détermination face au gouvernement, lequel a soufflé le chaud et le froid en permanence. Même si elle reste relative et fragile, la cohésion des mouvements transparaît dans leur analyse de l’accord de Paris. Car même les plus prudentes des organisations, si elles saluent certaines avancées, ne sont pas dupes : beaucoup, voire tout reste à faire, concluent les communiqués par dizaines. Ensuite, l’élargissement du front climatique n’est que partiellement reflété par la composition de cette coalition, comme l’a montré la mobilisation de militants affectés ou concernés dans de nombreux pays – mouvements indigènes brésiliens, écoféministes philippines, communautés marginalisées ou stigmatisées (Dalits indiens, Grassroots Movements étatsuniens, LGBT français, etc.).

Et bien loin de l’abattement qui avait succédé à l’échec du sommet climat de Copenhague (COP 15), les mouvements se montrent extrêmement résolus pour la suite. « Les leaders n’étaient pas au Bourget, ils sont dans la rue, dans les champs », salue l’écrivaine canadienne Naomi Klein, figure de référence. Plusieurs rendez-vous sont déjà fixés pour les mois à venir. « Aujourd’hui, nous déclarons l’état d’urgence climatique ! », lance Jon Palais, porte-parole du mouvement Alternatiba, qui décidera en février de la suite à lui donner, alors qu’il a touché plus de 500 000 personnes en deux ans. Le même mois, Berlin accueillera une réunion internationale où la société civile se proposera d’inventer les grandes mobilisations des années à venir, « notamment en articulation avec les mouvements de souveraineté alimentaire ou de justice économique, indique Tadzio Müller. La justice climatique ne se gagnera pas dans les COP, mais dans le blocage des mines de charbon ou par la pression sur les marchés financiers pour qu’ils se désinvestissent des énergies fossiles ». Pour la semaine du 7 au 13 mai 2016, se prépare un vaste mouvement de blocage de projets « climaticides » dans différents pays du monde.

« Cette année, nous avons* enregistré des résultats très encourageants qui accroissent notre crédibilité auprès du grand public, en obtenant par exemple que des banques comme la BNP renoncent à placer des millions dans le bassin houiller de Galilée en Australie, souligne Sylvain Angerand, des Amis de la Terre. L’enjeu désormais est de passer à la vitesse supérieure. Il nous faut d’autres victoires. » Sur la feuille de route française pour 2016 : arracher l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim, mais aussi assurer le lancement de campagnes contre la précarité énergétique, l’essor du covoiturage citoyen ou d’une agriculture « citoyenne », laquelle dénombre aujourd’hui 1 600 Amap sur tout le territoire.

Écologie
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