Éternel retour des fantômes de l’histoire

La compagnie Troisième Génération reprend There Is No Alternative. Humour et politique.

Denis Sieffert  • 16 décembre 2015 abonné·es
Éternel retour des fantômes de l’histoire
There Is No Alternative du 16 au 20 décembre, du mercredi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h. Théâtre 13, 30, rue du Chevaleret, Paris XIIIe.
© Luc Barrovecchio

Deux jeunes gens ont résolu de fuir la précarité et ce monde désenchanté. Mais ils se heurtent peu à peu à une sorte d’impossibilité dont on ne saura jamais l’exacte nature : psychologique, physique ou morale ? Voilà, s’il fallait le résumer, l’argument de There Is No Alternative, de la compagnie Troisième Génération. Un thème d’une absolue et cruelle actualité dans lequel le spectateur entre par la petite porte, témoin indiscret des gestes simples qui précèdent ordinairement le voyage.

Quoi de plus banal que de faire une valise ? Mais les personnages semblent buter sur un mur invisible, arrimés peut-être à leur vie d’ici et maintenant. Sans cesse la scène se répète, de plus en plus inaboutie. Jusqu’à ce que le rêve du départ se défasse complètement. Il n’y aurait donc pas d’alternative, comme le clamait avec arrogance Margaret Thatcher en 1979 ? Nous serions condamnés à rester là où le destin nous a posés et à subir les tourments du monde ? Propos éminemment politique. « Engagement » est le maître-mot de la petite troupe cosmopolite qui est à la fois auteur collectif et acteur de son spectacle. Engagement social, engagement amoureux, engagement des corps dans une performance essentiellement visuelle servie par des artistes venus du mime et du théâtre de rue, comme Agnès Delachair et Mattia Maggi, qui incarnent les deux candidats au départ.

Avec le metteur en scène, Sergi Emiliano, les comédiens ont choisi de traiter le sujet sur un mode burlesque, avec une réjouissante énergie. L’ardeur voyageuse vire rapidement au désordre et au chaos. Dans une chorégraphie parfaitement maîtrisée, les personnages se croisent, se recroisent et se télescopent, violemment ou amoureusement. On joue sur les antinomies qui trahissent des injonctions contraires. « Comme je suis heureuse », dit la jeune femme en versant des larmes de désespoir. Le rêve se peuple de personnages cauchemardesques qui apparaissent en arrière-plan, des nazis à Margaret Thatcher, symbole d’un ultralibéralisme ravageur. On ne sait plus si les fantômes appartiennent encore au passé ou déjà à l’avenir. Comme s’il était impossible de les effacer parce qu’ils sont des figures récurrentes de l’histoire. On semble nous dire que notre destin le plus intime n’échappe jamais aux tourments de l’époque. Notre libre arbitre n’est qu’illusion. Devant l’impossibilité de fuir, peut-être ne reste-t-il plus que le combat et la résistance.

Théâtre
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