« Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin », d’Amos Gitaï : L’homme qui voulait la paix, le tueur et le fossoyeur

Dans le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, Amos Gitaï prend position sur un épisode tragique et déterminant dans l’histoire d’Israël. Sans aller jusqu’au bout.

Christophe Kantcheff  • 16 décembre 2015 abonné·es
« Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin », d’Amos Gitaï : L’homme qui voulait la paix, le tueur et le fossoyeur
Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, Amos Gitaï, 2 h 30.
© Photo : SD Distribution

Amos Gitaï s’attaque à un sujet encore sulfureux en Israël : l’assassinat, en 1995, du Premier ministre de ce pays, qui avait conclu avec Yasser Arafat les accords d’Oslo quelque temps auparavant. Rabin poursuivait ses efforts pour trouver une paix durable quand il a été tué par un extrémiste religieux. Amos Gitaï n’a jamais caché ses positions proches de la gauche israélienne, et son film, le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, a tout l’air d’un geste d’intervention, même s’il traite d’un événement vieux exactement de vingt ans.

Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabinest en effet une œuvre à charge en même temps qu’un « film dossier ». Il exploite scrupuleusement les minutes, jusqu’ici non publiques, du rapport de la commission d’enquête chargée d’élucider les circonstances de l’assassinat. Le cinéaste met en scène, avec des comédiens, les différentes audiences (des policiers, des agents des services secrets, du chauffeur de Rabin…). Il en ressort que les précautions d’usage n’ont pas été prises, peut-être par négligence, même si l’existence de complicités avec les commanditaires du meurtre n’est pas exclue. Amos Gitaï a également recours à la fiction pour figurer les extrémistes religieux, notamment le tueur, Yigal Amir (Yogev Yefet). Il retrouve ici la veine de Kadosh, avec des scènes de délire collectif fanatisé, comme celle où une femme dépeint à une assemblée d’intégristes juifs le portrait psychologique de Rabin, qui n’est pas loin de ressembler à celui d’Hitler. Le film montre aussi de jeunes colons dont la vie se résume à deux choses : la lecture de la Torah et l’entretien de leurs armes. À la fiction, le cinéaste a mêlé des images d’archives de deux natures. Il y a d’abord la célèbre vidéo amateur prise d’un des immeubles surplombant la place où a été tué Rabin, dans laquelle on voit Yigal Amir tirer sur le Premier ministre en toute liberté. Surtout, Amos Gitaï puise dans les images de rassemblements du Likoud, déjà emmené par Benyamin Netanyahou. Pas une intervention où celui-ci ne harangue la foule avec une outrance que l’on peut qualifier a posteriori de criminelle, faisant de Rabin l’ennemi public n° 1. C’est là le cœur et l’objectif de ce film : démontrer la responsabilité de la droite israélienne dans l’assassinat de celui qui était en train de réaliser la paix, avec, au premier rang des accusés, l’actuel Premier ministre du pays.

Mais, puisque le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin s’affiche ouvertement comme un acte de dénonciation, un film partisan dont l’ambition est de peser jusque dans le débat politique actuel, il n’est pas illégitime d’en saisir les limites sur ce terrain. Et, quitte à désigner des responsabilités, on s’interroge sur le sens de l’interview de Shimon Peres qui ouvre le film. Certes, Peres était le ministre des Affaires étrangères de Rabin, et il fut, avec lui et Yasser Arafat, récompensé par le prix Nobel de la Paix en 1994. Mais il est aussi l’homme qui, quelques semaines après l’assassinat de Rabin, a bombardé le village de Cana au Liban, faisant de nombreuses victimes civiles – ce qui a fortement contribué à sa défaite face à Netanyahou aux élections suivantes, lesquelles s’annonçaient pourtant imperdables. En outre, Shimon Peres, malgré le « discours de haine » du Likoud qu’il dénonce aujourd’hui dans le film, n’a pas hésité à gouverner avec lui dans les années qui ont suivi. Ainsi, Peres apparaît comme le fossoyeur de l’héritage de Rabin. La gauche israélienne n’a jamais retrouvé une telle figure intègre et volontaire dans le dialogue avec les Palestiniens pour trouver des solutions de paix. C’eût été dans la logique de ce film que d’en appréhender les raisons. Mais, alors, Amos Gitaï aurait dû faire violence à ses convictions. Le citoyen a, en l’occurrence, eu raison du cinéaste.

Cinéma
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