Big Manuel is watching you

Pour Valls, « expliquer » le terrorisme, « c’est déjà vouloir un peu l’excuser ».

Sébastien Fontenelle  • 13 janvier 2016 abonné·es

Le 25 novembre 2015, Manuel Valls, Premier ministre « socialiste », déclame, dans l’Assemblée nationale, et pour répondre à l’interpellation d’un député de l’autre droite, qu’ « aucune excuse ne doit être cherchée » pour le terrorisme. Puis de préciser – pour le cas, probablement, où son interlocuteur n’aurait pas bien compris : « Aucune excuse sociale, sociologique et culturelle car, dans notre pays, rien ne justifie qu’on prenne des armes et qu’on s’en prenne à ses propres compatriotes. » Dans la vraie vie, comme le sait parfaitement quiconque se montre un peu plus attentif à la réalité qu’aux fantasmes réactionnaires qui prétendent la restituer : personne, en France, n’a jamais cherché la moindre excuse aux auteurs des attentats de janvier (puis du 13 novembre) 2015.

En revanche : il est parfaitement exact que divers commentateurs, parmi qui se trouvaient même –  horresco referens  – quelques sociologues, sont allés jusqu’à suggérer que ces affreuses tueries pouvaient avoir des causes plus lointaines, et plus difficiles à dénouer, que celles que brandissent communément les médias mainstream (et leurs penseurs de compagnie) qui se satisfont généralement, lorsque vient le moment d’introduire un peu de complexité dans le débat public, de l’énoncé, point faux du tout mais peut-être un peu lapidaire, que les terroristes sont des terroristes, t’as vu ? Pour le dire autrement : des voix se sont élevées, pour dire qu’il pouvait être intéressant d’ expliquer vraiment ce qui s’était passé – sans, bien sûr, jamais l’ excuser. Cela : Manuel Valls le sait fort bien. Mais derechef, ce 9 janvier : il a proclamé qu’ « il ne » pouvait « y avoir aucune explication qui vaille » – et que le terrorisme devait donc, si du moins les mots ont un sens, rester un phénomène inexpliqué. « Car » en effet, a-t-il ajouté (avec beaucoup de cette so subtile finesse à quoi se reconnaît immanquablement le mec de droite) : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

Ce qu’oyant, l’on se rappelle que le totalitarisme imaginé par Orwell dans 1984 impose notamment sa tyrannie par une subversion radicale du langage et (partant) de la compréhension du monde, qui passe par la forgerie de slogans comme : « La guerre, c’est la paix. » Ou : « La liberté, c’est l’esclavage. » Ou encore : « L’ignorance, c’est la force. » Puis l’on s’interroge : lorsqu’en l’assimilant (et l’amalgamant) à la prémisse d’une justification (lui parle d’ « excuse » ) il disqualifie toute tentative d’explication véritable – donc d’intelligence – du terrorisme en particulier, mais tout aussi bien d’une (rude) époque dans son ensemble – et lorsqu’en somme il proclame, à la manière d’un Finkielkraut, son aversion de principe pour la sociologie, « notre » [^2] Premier ministre socialiste n’est-il pas lui aussi tenté d’ériger l’ignorance en vertu, à la fin de mieux s’assurer que la plèbe ne réfléchira pas trop à la véritable nature des desseins qui motivent ses austères politiques ? 

[^2]: Façon de parler, hein : c’est carrément pas le mien – ni le tien non plus, je parie.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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