Pouria Amirshahi : « Le gouvernement confisque le temps politique »

Député socialiste, Pouria Amirshahi juge sévèrement un virage sécuritaire qui, selon lui, menace la démocratie.

Denis Sieffert  • 27 janvier 2016 abonné·es
Pouria Amirshahi : « Le gouvernement confisque le temps politique »
© Photo : Laurent Laborie

Pouria Amirshahi est l’un des chefs de file des frondeurs. Il a fondé au mois de novembre un mouvement transversal à toutes les forces de la gauche baptisé Commun, qui se situe délibérément sur le terrain de la bataille des idées. Il analyse ici les conséquences de la dérive sécuritaire et libérale du gouvernement. Il exprime aussi son scepticisme au sujet d’une primaire en vue de la présidentielle.

Comment jugez-vous la politique du gouvernement ?

Pouria Amirshahi Elle s’aggrave parce qu’elle ne cesse de confirmer la privatisation d’une partie des ressources publiques. C’est encore le sens du plan dit « contre le chômage » présenté par François Hollande le 18 janvier. Mais à cela s’ajoutent une très inquiétante dérive sécuritaire et une stratégie du gouvernement par la peur. Une stratégie qui fige la démocratie, profitant de l’état de sidération résultant des attentats de 2015, et qui est nourrie par l’actualité internationale. En prolongeant l’état d’urgence, le gouvernement efface le temps politique et les rythmes sociaux. Nos dirigeants veulent en être les seuls maîtres. Et c’est très inquiétant dans une démocratie : on ne sait pas jusqu’où cela peut aller.

Il y a, selon vous, un « cas Valls » ?

La posture martiale de Manuel Valls se nourrit d’un discours anxiogène irresponsable. Il ouvre tous les fronts possibles de division de la société. Il dit « la laïcité, c’est moi », « la République, c’est la sécurité », et « l’état d’urgence, c’est moi qui décide ». Il prétend exclure tous ceux qui ne partagent pas sa conception. Et, dans la même semaine, il affirme que la France a des racines chrétiennes. Cet homme inquiète. Il commence la séquence de l’état d’urgence en brandissant la menace des armes chimiques et il justifie sa prolongation par « tant que la guerre avec Daech ne sera pas terminée ». On est toujours dans une confiscation du temps.

Avec Manuel Valls et François Hollande – qu’il ne faut pas épargner – nous sommes entrés dans une période où la vie politique est cadenassée. Et ça ne va rendre que plus violentes les réactions du corps social. Nous sommes dans une phase de brutalité. Cela ne s’appelle pas une dictature, mais ça ne s’appelle plus la démocratie.

Vous êtes député des Français de l’étranger sur une vaste circonscription comprenant l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb. Une région particulièrement frappée par le terrorisme. Comment jugez-vous la politique de la France ?

La situation du Mali, du Burkina et du Niger, notamment, a cette caractéristique que ce sont des États fragiles, avec une capacité régalienne de redistribution et de développement faible. Ces populations sont maintenues à un niveau de grande pauvreté qui -constitue en effet le terreau de recrutement pour les mafias et les jihadistes. On est, dans ces pays, à la confluence des trafics de drogues, de marchandises, d’armes et d’humains. Ce sont aussi des lieux de jonction de tous les groupes jihadistes. Ces groupes sont les seuls en capacité de remettre de l’ordre – leur « ordre ». Ce sont des « autorités » itinérantes. Face à cela, la France est hélas plus dans une logique de guerre que de développement.

Le projet global de l’exécutif est la guerre à l’extérieur et la surveillance à l’intérieur. Il ne se contente pas de faire face militairement à des groupes dangereux – si tant est qu’il faille le faire comme cela –, il fertilise le terreau de ces groupes parce qu’il ne sécurise pas la situation, notamment par l’ONU, et en y consacrant les milliards nécessaires. Cette politique ajoute la guerre à la guerre. Paradoxalement, une partie de l’état-major de l’armée ne souhaite pas cette politique de guerre. Les militaires savent que l’approche militaire ne tuera pas Daech. Alors pourquoi cette stratégie ? Mon hypothèse est qu’il s’agit là, de la part de la tête du gouvernement français, d’un choix idéologique proche du néo-conservatisme. Ce qui est très inquiétant.

La campagne pour la présidentielle est déjà engagée. Que pensez-vous de l’initiative de primaire de la gauche lancée par Daniel Cohn-Bendit et Yannick Jadot ?

La démarche est intéressante parce qu’elle délégitime la candidature de François -Hollande. C’est affirmer que celle-ci n’est en rien automatique. Mais ce sera compliqué de mobiliser une deuxième fois les électeurs, vu ce qui s’est passé après la première primaire. Et il sera difficile de dire aux électeurs de gauche : « On n’a pas de chef, pouvez-vous régler le problème à notre place ? » On demande aux Français de « recomposer la gauche », mais ce n’est pas leur problème. Les auteurs de la pétition recherchent avec sincérité le moyen de bousculer le jeu, mais il y a un risque d’hypocrisie politique de la part de ceux qui sont susceptibles de se saisir de cette initiative. Ceux qui disent « vive les primaires de toute la gauche, de Hollande à Mélenchon », savent bien que cette primaire n’aura pas lieu.

Il me semble donc que l’hypothèse sérieuse serait peut-être d’organiser une primaire des projets. Entendre tous ceux qui irriguent notre société et créer une agora où toutes les propositions pourraient être déposées. Il faut recréer les causes communes de la France dans un pays qui n’en a plus, et où l’on divise selon les groupes et les communautés.

Le vrai sujet, c’est « la France d’après ». C’est la raison pour laquelle nous avons créé le mouvement Commun. Son but n’est pas la recomposition de la gauche, mais de réfléchir à quelle France pour demain.

Vous ne vous inscrivez pas dans une stratégie pour 2017 ?

J’avoue que je préfère réfléchir sur le long terme, au-delà de 2017. On va de toute façon vers un champ de ruines. On va vers des divisions, des logiques centripètes. Il faut donc unifier le plus possible à partir de pratiques. Donner aussi à voir de nouveaux visages – et pas toujours ceux qui confisquent la parole. Il n’y aura pas de renouvellement s’il n’y a pas de renouvellement des têtes. Et ça, ça se prépare dès maintenant.

Il semble que Jean-Luc Mélenchon se prépare à lancer sa candidature dans les prochaines semaines. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas la première fois que Mélenchon a la possibilité d’ouvrir un arc large de la gauche face à Hollande. Et, une nouvelle fois, il ne le fait pas. Il ferme autour de lui-même toutes les autres possibilités. Ce ne peut pas être une dynamique victorieuse. Finalement, Mélenchon et Hollande ont au moins un point d’accord : il faut qu’il n’y ait personne entre eux deux.

Alors Mélenchon, pour vous, ce sera non ?

On verra. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que je ne ferai pas la campagne de François Hollande et de Manuel Valls. Je les ai combattus dans presque tous les domaines. Et je vois bien leur projet libéral, sécuritaire et paternaliste. Faibles face aux forts, forts face aux faibles.

J’ai bien compris que votre mouvement ne s’inscrira pas directement dans la campagne de la présidentielle, mais que va-t-il faire pendant ce temps ?

Si le mouvement Commun peut aider sur le court terme à élaborer des éléments de plateforme, il le fera. Mais son objectif est de long terme. Il s’agit de remettre sur les rails une gauche qui est en lambeaux. Ce serait un PSU majoritaire, si j’osais cet oxymore historique. Nous avons à engager un combat de réappropriation des biens communs, des pouvoirs et des richesses, par la mise en avant de causes communes aux citoyens.

Dans cette société brutale, il faut aussi renouer avec une forme de bienveillance à laquelle les gens ne croient plus. Cette demande suppose une radicalité. Est-ce une nouvelle guerre sociale qui s’annonce ? Je n’en sais rien. Mais, ce que je sais, c’est que l’enjeu est de ne plus laisser faire ceux qui brutalisent cette société pour tout confisquer. On sait décrypter les logiques de confiscation des pouvoirs. Il suffit de lire pour ça Stiglitz, Piketty ou Naomi Klein. On sait décrypter ces logiques, mais sait-on les empêcher ? Il faut une remise en confiance, réapprendre à partager des combats communs. Le problème, pour les gens, ce n’est pas que c’est moins bien qu’avant. Ils se situent par rapport aux promesses qui ont été faites. C’est ce sentiment de désillusion qui est insupportable.

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