Un plan pour l’emploi… ou pour les chiffres ?

Formation, service civique, transition écologique, baisses d’impôts… Les mesures d’urgence avancées par le président de la République risquent d’avoir des effets superficiels.

Erwan Manac'h  • 13 janvier 2016 abonné·es
Un plan pour l’emploi… ou pour les chiffres ?
© Photo : LIPONNE/citizenside/AFP

Les ficelles sont un peu grosses. Pour ne pas dire grossières. Doubler les offres de formation et de service civique… À un an de l’élection présidentielle, il n’aura pas échappé aux analystes de tous bords que le plan d’urgence pour l’emploi esquissé par François Hollande le 31 décembre dernier aura comme conséquence immédiate de sortir des chiffres du chômage (catégories A, B et C) des centaines de milliers de demandeurs, temporairement occupés par une formation (classés donc en catégorie D) à défaut d’avoir trouvé un emploi stable. Les gouvernements successifs nous ont habitués à ce « traitement statistique », vantant chaque mois la « baisse tendancielle de la hausse du chômage ». Une rhétorique qui fait grincer les dents des principaux intéressés. Car la réalité est là : selon l’Insee, 10,6 % de la population active en France cherche un travail. Les mesures que François Hollande doit détailler le 18 janvier devant les partenaires sociaux sont donc accueillies avec circonspection. Les recettes sont connues. Certaines ont déjà fait leurs preuves, mais leur efficacité dépendra de leur mise en œuvre.

Former les chômeurs

Au grand dam des syndicats de patrons, l’Allemagne s’est dotée le 1er janvier 2015 d’une loi fixant un salaire minimum à 8,50 euros de l’heure. La plupart des experts pronostiquaient des destructions massives d’emplois, pouvant grimper jusqu’à 900 000 selon les prédictions les plus pessimistes.

Mais, un an après sa mise en place, le premier bilan est tout autre. 700 000 emplois ont été créés entre janvier et septembre 2015, et le chômage est tombé à 4,5 % en novembre, contre 4,8 % en janvier de la même année, selon les données d’Eurostat.

Même ses plus vifs détracteurs, comme l’Institut de l’économie allemande (IW), proche des employeurs, admettent que l’introduction du salaire minimum n’a provoqué « aucun changement visible sur le marché du travail », écrit Die Welt. Une commission paritaire employeurs-salariés doit désormais discuter, sans la présence du gouvernement, d’un passage à 10 euros de l’heure en 2017, soit légèrement au-dessus du niveau français (9,61 euros).

Cinq cent mille formations supplémentaires ont été annoncées pour les chômeurs, ciblées sur les nouveaux métiers du numérique et de la transition énergétique et les métiers en tension (hôtellerie, restauration, tourisme, etc.). Un chiffre duquel il faut soustraire les 150 000 créations déjà annoncées lors de la conférence sociale de novembre. Cet effort est unanimement salué, mais soulève quatre interrogations. L’efficacité, d’abord. Selon la dernière étude de Pôle emploi, 49,5 % des demandeurs ayant bénéficié d’une formation travaillaient six mois après. Ce levier n’est donc que partiellement efficace. « Les gens ne trouvent pas d’emploi parce qu’il n’y en a pas. La formation n’a jamais créé d’emplois, à part celui des formateurs », affirme Pierre-Édouard Magnan, délégué fédéral du Mouvement national des chômeurs et précaires. Second obstacle : la faisabilité pure et simple. Pôle emploi et les organismes de formation ne semblent pas en mesure de gérer 500 000 sessions de plus par an, un chiffre qui représente 73 % d’augmentation. Le financement de cette annonce reste d’ailleurs à éclaircir. Les Échos avance le montant d’un milliard d’euros, assumé pour moitié par l’État et complété par les fonds de la formation professionnelle. Il en faudrait 2,5 fois plus selon les spécialistes, sans compter les investissements d’équipements pour adapter l’offre et ne pas se limiter à des formations « papier-crayon ». Ce plan risque également de se heurter à des blocages politiques, car la formation est désormais une compétence exclusive des Régions. Pour réussir, François Hollande devra associer financièrement des collectivités qui ont vu baisser leurs dotations et ont, pour certaines, basculé aux mains de la droite. Enfin, les associations de chômeurs déplorent le message subliminal que recouvre cette annonce. « On essaye de faire croire à la population et aux chômeurs eux-mêmes que, s’ils ne trouvent pas de travail, c’est parce qu’ils sont mal formés. Ce serait donc de leur faute », souligne Pierre-Édouard Magnan. Le Medef et les ministres successifs entretiennent ce mythe en communiquant sur une manne supposée d’emplois non pourvus. Ils seraient 150 000 à 400 000, selon Myriam El Khomri, ministre du Travail. Il s’agit en réalité de 148 000 postes vacants fin 2015. Un chiffre qu’il ne faut pas confondre avec celui des offres ne trouvant pas preneur faute de candidats. Pôle emploi en dénombre 34 000. On est donc loin du « gisement d’emplois ». Si ces offres restent non pourvues, cela devrait d’ailleurs être étudié à l’aune des conditions de travail et du niveau des salaires proposés. À l’opposé, le discours anti-chômeurs revient à la mode depuis septembre 2015, lorsque François Rebsamen, alors ministre du Travail, créait 200 postes de contrôleurs supplémentaires pour surveiller les demandeurs. Les radiations administratives, massivement utilisées sous Nicolas Sarkozy pour dégonfler les chiffres du chômage, elles, sont restées stables sous Hollande, autour de 40 000 par mois.

Volontariat et emplois aidés

C’était une promesse de candidat que François Hollande a honorée. Quelque 150 000 « emplois d’avenir », aidés par l’État et ciblés sur les jeunes décrocheurs, ont été créés fin 2014. Le Président maintient également une politique d’ateliers et de chantiers d’insertion, et souhaite « généraliser » le service civique. De 45 000 volontaires en 2015, il a fixé l’objectif de « 350 000 missions » en 2018. Là aussi, l’effet statistique sera immédiat, pour un coût moindre que les emplois aidés (507 euros bruts mensuels). Dans un contexte financièrement tendu pour le secteur associatif, il devient pourtant difficile de trouver des missions pour tous ces jeunes. Les administrations commencent donc à recruter des volontaires pour faire de l’accueil dans les hôpitaux, de l’accompagnement dans les écoles, etc. Une tendance qui inquiète les défenseurs du service civique. « Nous craignons de tomber dans un service civique au rabais, pour faire du nombre. Une mission de qualité nécessite un accompagnement, une réflexion sur l’activité et la constitution des groupes de jeunes et des moyens des associations pour les encadrer », relève Bernard Faure, administrateur d’Unis-Cité à Grenoble, une structure associative qui propose aux jeunes des missions solidaires et citoyennes.

Grands travaux écologiques

L’annonce a fait couler moins d’encre. Elle paraît peu crédible, et pourtant elle pourrait estomper le scepticisme ambiant et satisfaire les partisans de la relance économique. Le chef de l’État a annoncé « un programme de grands travaux pour la rénovation de nos bâtiments, pour le développement des énergies renouvelables  [et] pour la croissance verte  ». La loi de transition énergétique fixe déjà le chiffre de 500 000 logements rénovés par an d’ici à 2050, grâce notamment à des prêts à taux zéro et à des baisses de 30 % d’impôts sur les travaux privés. Dans cet objectif, l’effort déployé pour la formation pourrait prendre tout son sens. « Chaque million d’euros investi dans la rénovation thermique assure la création de quatorze emplois. C’est le ratio le plus élevé », juge l’économiste Charles-Antoine Schwerer ( Les Échos, 5 janvier). Mais l’ambition affichée par François Hollande détone avec la baisse brutale des dotations aux collectivités locales. Le jour même de l’allocution du Président, le 31 décembre, le gouvernement publiait un décret baissant de 6 % l’aide « solidarité écologique » destinée à soutenir les bailleurs dans des travaux d’isolation. On a connu meilleure coordination. Il faudra enfin repenser le marché de l’emploi pour que ces investissements ne s’évaporent pas, prévient Pierre-Édouard Magnan : « Si nous ne changeons pas de politique globale du bâtiment, en réduisant le recours aux salariés détachés [embauchés aux conditions de leur pays d’origine], nous ne créerons pas d’emplois. »

Baisser les impôts

Pour les petites entreprises (TPE et PME), François Hollande promet de nouvelles aides à l’embauche. Une baisse de cotisations de 1 000 à 2 000 euros pour l’embauche d’un salarié payé moins de 1,3 Smic serait envisagée. Après l’abandon des « emplois francs » expérimentés en 2013 (5 000 euros de prime pour l’embauche d’un jeune résidant dans un quartier populaire), le gouvernement a déjà exonéré de Sécurité sociale les recrutements de salariés au niveau du Smic. C’est l’une des principales revendications du patronat, martelée une nouvelle fois dans sa « Lettre ouverte à François Hollande », publiée le 10 janvier dans le Journal du dimanche. Mais l’efficacité de cette mesure, déjà utilisée par Sarkozy en 2008, est contestée. D’Édouard Balladur à François Fillon en passant par Martine Aubry, les gouvernements successifs ont usé et abusé de ces baisses d’impôt ciblées sur les bas salaires, avec les résultats que l’on connaît. L’année 2015 s’est d’ailleurs terminée avec la publication d’une étude aussi discrète que gênante pour le gouvernement. Le 17 décembre, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) examinait les résultats du CICE, la réduction d’impôt sur les salaires de 4 % en 2013 et de 6 % ensuite, votée avec le « pacte de responsabilité ». C’est près de 120 000 emplois qui ont été « créés ou sauvegardés » par cette mesure d’un coût de 20 milliards d’euros par an, estime l’institution. Loin des 300 000 créations espérées. Or, l’étude pointe un autre effet, plus inattendu, de ces baisses d’impôts. Au lieu de diminuer le « coût » du travail, elles ont engendré des hausses de salaire de l’ordre de 1,1 % dans « un gros tiers » des entreprises. Des augmentations souvent délivrées sous forme de prime, donc bénéficiant surtout aux hauts salaires. Seule une reprise durable de l’activité peut créer de l’emploi. Mais les carnets de commandes sont vides, comme en témoignent de nombreuses enquêtes économiques. Même problème pour l’apprentissage, que le chef de l’État a annoncé vouloir mettre en avant et que les patrons souhaitent entièrement défiscalisé. Les études montrent que les apprentis peinent à trouver une place. Quand ils ne sont pas embauchés en remplacement d’emplois « normaux ». La « politique de l’offre », expression héritée des années Reagan aux États-Unis, n’est pourtant en rien remise en question. Au contraire, 2016 s’amorce avec la réécriture du code du travail, une autre revendication historique du patronat. À défaut de moderniser ses arguments, celui-ci vient d’ailleurs de procéder à un toilettage de son vocabulaire. Foin de la « flexibilité », il préfère désormais parler d’« agilité » du contrat de travail. C’est pourtant bien un plan de dérégulation que les syndicats craignent de devoir affronter. Remise de la copie le 9 mars.

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